Le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, était à Alger hier. Karima ne connaissait pas ce Monsieur, toute étudiante en sciences politiques qu'elle est. Dans l'Algérie de Karima, on n'est pas obligé de connaître le nom du chef de gouvernement de l'ancienne puissance colonisatrice et du premier partenaire économique de son pays pour faire «sciences po». Elle sait seulement que ce n'est pas le président de la France mais «celui qui vient juste après lui», parce que le Président, elle l'a vu parader au Mali, et le professeur de géostratégie a dit à Karima et ses camarades d'amphithéâtre qu'il était là-bas pour «s'ingérer dans les affaires intérieures d'un pays étranger». Rien que pour ça, elle avait retenu le nom de François Hollande. En plus, «Jean-Marc Ayrault», c'est tout de même un nom trop compliqué pour s'en souvenir. Karima a quand même entendu parler de cette visite même si son actualité récente est plutôt rythmée par le scandale d'Ennahar TV qui a filmé des étudiantes sortant de la cité universitaire avec leurs petits copains et d'autres en train de boire tranquillement une bière dans leur chambre pour conclure qu'elles sont toutes des prostituées. Karima n'arrive toujours pas à retenir le nom du Premier ministre français mais un peu par snobisme et beaucoup par paresse, elle se dit qu'il vaut mieux parler du Bon Dieu que ses saints. Alors elle se rappelle que Jean-Marc Ayrault est à Alger pour mettre en pratique la déclaration d'Alger à l'issue de la visite de François Hollande il y a exactement une année. Le professeur de relations internationales, le préféré de Karima, lui a expliqué que le responsable français, celui qui vient juste après Hollande dans la hiérarchie, est à Alger pour un «double objectif». D'une part, «entamer un dialogue politique régulier de très bon niveau entre Alger et Paris, et d'autre part, se doter d'un mécanisme de suivi de la relation bilatérale». Karima n'a rien compris à son prof de «relex» qui a repris le propos pompeusement diplomatique d'une source diplomatique qui s'est exprimée à partir de Paris. Mais ce n'est pas vraiment important, ce n'est pas parce qu'elle comprend tout ce que dit le professeur qu'il est son préféré. Elle l'aime bien parce qu'il lui donne des cours sans lui faire la leçon, parce qu'il est aussi écœuré qu'elle par le reportage d'Ennahar TV et surtout parce qu'il «sait» que Jean-Marc Ayrault n'a pas ramené plus de visas. Comme elle n'a pas l'intention d'acheter une Symbol, elle n'attend pas du Premier ministre français qu'il redise l'échéance de son entrée en fabrication, elle a déjà entendu ça chez Amara Benyounès même si elle ne croit jamais à ce qu'il raconte, tellement il annonce la chose et son contraire. D'ailleurs, Karima n'attend même pas de visa pour la France, le pays est déjà assez dur à vivre pour ceux qui sont là-bas, et ce n'est pas ceux qui ne sont pas obligés de connaître son Premier ministre pour faire sciences po qui vont s'y faire une place au soleil. Quand Karima a appris que M. Ayrault – un nom qu'elle arrive maintenant à prononcer au prix d'un effort monumental – ira à Oran pour visiter l'usine Renault et une cimenterie, avant de monter dans le tramway, elle s'est sérieusement posé cette question : pourquoi, il n'a jamais vu une cimenterie et une usine de voitures ? Il n'a jamais pris le tramway, celui-là ? [email protected]