Si Mohamed Bencheneb était vivant, il aurait sans nul doute son prix Nobel de littérature. Bien qu' il ait été reconnu comme un grand homme de culture par tous les académiciens de son époque et même par la France coloniale, Bencheneb attend toujours que l'Algérie lui rende hommage en donnant son nom à une institution digne de sa notoriété. A notre connaissance, il n' y aurait qu'une école à Alger et un lycée à Médéa qui porteraient le nom de cet érudit alors qu'il mérite bien plus que cela. Né le 26 octobre 1869 à Médéa, Mohamed Bencheneb, a, dès son jeune âge ,prouvé ses capacités intellectuelles par sa mémoire prodigieuse auprès de son cheikh de l'école coranique puis à l'école primaire. Excellent élève, il passe au lycée puis rejoint l'école normale d'instituteurs de Bouzaréah à Alger. Il rejoint son poste d'enseignant à Médéa alors qu'il n'avait que 19 ans. Par la suite, il est muté à l'école Fatah d'Alger avec un logement de fonction. Tenant à enrichir ses connaissances, il retourne à l'école normale pour prendre des cours de langues et suit en parallèle les cours de Abdelhalim Bensmaia qui officiait à la grande mosquée d'Alger. S'étant inscrit pour poursuivre ses études, il obtient la première partie du baccalauréat en 1894. Atteint de la lèpre, il ne se présentera pas l'année suivante pour l'examen. Aussitôt guéri, il se lance un défi en reprenant normalement ses cours et les distinctions ne se feront pas attendre. Un polyglote En effet, il obtiendra le diplôme de lettres arabes de l'université française d'Alger et s'acharnera à apprendre les langues. Quelques années après, il est parmi les rares polyglottes algériens et français de l'époque. En effet, il finira par maîtriser une dizaine de langues dont l'hébreu, le latin et le grec. En 1898, il va pour donner des cours de lettres arabes (adeb) et de fiqh (théologie) à El Kettania à Constantine. Trois années après, il revint à Alger et enseigne à la médersa Ethaâlibya près du mausolée de Sidi Abderrahmane. En parallèle, il sera chargé de lire Sahih El Boukhari à la mosquée Safir d'Alger. Le génie brûle toutes les étapes et se retrouve comme professeur de lettres à l'université d'Alger. Ses conférences et ses correspondances avec d'éminentes personnalités le rendent célèbre. «Abou Dholama», une thèse adressée au colonialisme En 1920, il est élu membre de l'académie des sciences de Damas. Suite à l'insistance des professeurs français, il présentera une thèse de doctorat d'Etat à Paris. L'homme qui n'avait jamais accepté la présence des colons français saisit alors cette occasion en présentant une thèse destinée au fond au pouvoir français qui faisait sa loi face aux indigènes. Le titre «Abou Dholama» est en lui-même une moquerie et une attaque à peine dissimulée à l'Etat colonialiste. D'ailleurs Bencheneb est connu pour ses anecdotes face aux colons. «Le bicot te donne un zéro» En effet, un jour, alors qu' il se déplaçait dans un train, alors qu' il avait baillé en mettant sa main sur sa bouche, une dame dit à sa fille qui faisait face au grand homme : «Attention, l' Arabe va te manger.» La répartie de Bencheneb ne se fait pas attendre : «Mme, notre religion nous interdit de manger le porc.» Une autre histoire a commencé aussi dans le train Blida-Alger. Une jeune fille accompagnée de ses parents s'est exclamée devant Bencheneb qui portait son joli Burnous et son turban : «Papa, regarde le bicot !» Cette fois, le maître n'avait pas répondu mais comme le hasard fait bien les choses, la jeune fille s'est retrouvée, le même jour, en face de l'homme en burnous pour passer son examen oral à l'université d'Alger. Bencheneb posa trois questions à la jeune étudiante qui ne répondit que par le silence. Le professeur finit par déclarer à l'étudiante : «Le bicot te donne un zéro !» Le grand professeur est nommé en 1924 membre actif de l'académie des sciences coloniales. L'homme dont la notoriété dépassa largement nos frontières a écrit une cinquantaine d'ouvrages dont des traductions avec ses propres notes et réflexions. Le professeur Mohamed Bencheneb, dont le fils Saâdeddine était également un érudit, est mort suite à une maladie le 5 février 1929. Il a été enterré à Sidi Abderrahmane à moins de 50 m de la médersa Ethaâlibia où il a enseigné pendant plus de vingt ans.