Des crépitements de balles font fuir des centaines de personnes dans la panique: ce sont des civils sud-soudanais traumatisés, rescapés d'atroces combats dans lesquels ils ont perdu des proches, et qui redoutent de nouvelles attaques. Mais cette fois, il s'agit de tirs de joie qui retentissent au moment où des dizaines de soldats gouvernementaux montent à bord d'une péniche pour traverser le Nil blanc, franchi en sens inverse il y a quelques jours par des dizaines de milliers de civils en fuite. Les troupes retournent au combat pour reprendre la ville-clé de Bor dans l'Etat de Jonglei (à 200 km au nord de la capitale Juba), la dernière grande ville aux mains des rebelles de Riek Machar, après presque un mois de violents combats. "Même ici, sur l'autre rive du fleuve, les gens ont encore tellement peur que les rebelles viennent les attaquer", confie Simon Deng, un étudiant qui, comme 80.000 autres civils, selon les Nations unies, a fui Bor vers l'ouest, à travers les vastes zones marécageuses du long fleuve. "Ils ont tant souffert, ont vu tant de tueries", dit-il. Jour après jour, des péniches chargées de civils rescapés de la bataille de Bor débarquent sur l'autre rive du fleuve. Parmi eux figurent des soldats qui se regroupent maintenant pour retourner au combat. Parvenu à s'échapper en bateau Le Soudan du Sud a plongé dans la violence le 15 décembre dernier, quand des affrontements ont éclaté entre des unités fidèles à l'armée sud-soudanaise du président Salva Kiir et celles qui étaient loyales à son rival politique, l'ancien vice-président Riek Machar. Le responsable de l'aide de l'ONU au Soudan du Sud, Toby Lanzer, a mis en garde contre une "catastrophe humanitaire à venir" dans le pays, indépendant depuis 2011. Selon l'ONU, "bien plus" de 1.000 civils ont été tués au combat et près de 250.000 ont quitté leurs foyers - fuyant la vague de violences entre communautés dinka et nuer. Les deux rivaux, qui se disputent le pouvoir après avoir été alliés dans la guerre d'indépendance contre Khartoum, instrumentalisent leurs groupes ethniques. Salva Kiir les Dinka, et Riek Machar les Nuer. Mamuor Akuer, 31 ans, père de quatre enfants, a été blessé par balle à la jambe par des Nuer qui ont attaqué sa famille réfugiée sur une île du fleuve, avec son précieux bétail. Des soldats mutinés, en treillis de l'armée, combattaient aux côtés des assaillants nuer, précise-t-il. "Nous gardions le bétail, et ils nous ont pris par surprise, tirant et tuant (...) Dix d'entre nous ont été tués, quatre ont été blessés", raconte M. Akuer. Il est parvenu à s'échapper en bateau, empruntant d'étroites voies navigables pour atteindre le petit village autrefois endormi de Minkamman, où sa blessure a été soignée. "Maintenant, je suis impuissant, je ne peux nourrir mes enfants (...) Mon coeur est brisé", dit-il, se reposant sur un lit de l'hôpital d'urgence mis en place par Médecins sans frontières (MSF). La bataille pour la reconquête de Bor continu Le gouvernement a affirmé qu'il mobilisait des milliers de soldats supplémentaires pour participer à l'offensive sur Bor. Le moral des troupes a été renforcé par la victoire de l'armée sud-soudanaise à Bentiu (nord), ville pétrolière de l'Etat d'Unité, reprise vendredi aux rebelles. Mais les blessés et tous ceux touchés par la guerre fuient loin des zones de combat. "La grande majorité de la population souffre de diarrhées ensanglantées, ce qui est lié à leurs mauvaises conditions de vie", explique Hugues Robert-Nicoud, responsable de MSF. Plus de 30 personnes blessées par balle ont été soignées par le dispensaire de MSF depuis le début du conflit.