L'annonce de la réouverture imminente de la pêche du corail, interdite depuis 2000 pour permettre à ce polype très fragile de se régénérer, a sonné le branle-bas de combat au sein des professionnels de la filière, qui estiment que cette décision ''va réglementer cette activité et mettre fin au braconnage''. C'est en novembre 2000 que les autorités algériennes décident d'interdire la pêche au corail, objet de grandes convoitises mercantiles, qui menaçaient dangereusement l'état des coraux et les stocks existants. Si la méthode désuète et dangereuse de la ''croix de Saint-André'' (utilisée pour la récolte du corail) avait été abandonnée, également partout dans le monde et surtout en Méditerranée après avoir été dénoncée par l'explorateur océanographique, Jacques-Yves Cousteau, au profit de plongeurs qui cueillaient les polypes de corail sans détruire la colonie de coraux elle-même, les motifs des autorités étaient surtout liés à la contrebande née de cette matière. L'interdiction de la pêche au corail est venue en fait pour stopper un vaste trafic à l'échelle régionale et internationale dans lequel étaient impliqués autant des armateurs corailleurs que des réseaux de braconniers, qui alimentaient des filières d'un vaste trafic international bien organisées. Certains armateurs, détenteurs de permis de pêche qui les autorisaient à extraire jusqu'à 800 kg/an, ont trouvé l'astuce de contourner la loi qui les obligeait à créer des ateliers de transformation, et donc créer des emplois et former une main d'œuvre, pour exporter à l'état brut et non fini le corail algérien. Et c'est dans la baie de Naples, en Campanie, que le corail pêché en Méditerranée, dont celui algérien, arrivait en bout de course. Ce village de pêcheurs aux pieds du Vésuve, de quelque 90.000 habitants environ, c'est Torre Del Greco, la capitale mondiale du corail. Cette agglomération, qui compterait un peu plus de 400 artisans, courtiers, négociants et autres intermédiaires, traite environ plus de 60% du corail pêché dans le monde. Le corail algérien, selon des experts, est le plus convoité à Torre Del Greco. Brut, il est cédé entre 400 et 500 euros le kilogramme, sinon plus selon les spécimens. Pourquoi ? Parce que les branches du polype (algérien) sont de la belle couleur rouge sang de bœuf, expliquent des experts. Autre particularité, l'Algérie recèle les plus belles colonies et les plus gros gisements de corail au monde, selon des experts en océanographie français. Et c'est dans ce village de pêcheurs italiens, devenue capitale mondiale du corail, que serait née, selon la mythologie grecque, cette couleur ''rouge inégalé, jailli jadis de la tête de Méduse tranchée par Persée, qui devint corail au contact des algues de la Méditerranée''. Ouvrir la pêche au corail ? Oui, mais... Mais, en Algérie, même interdit, le corail n'a pas cessé d'être pêché par les braconniers. Des saisies de plusieurs centaines de kg ont été effectuées par les services des garde-côtes et des Douanes au cours de ces dix dernières années, ce qui a du coup rendu ce phénomène ''intolérable'', estime Mohamed Larbi Yahiouche, armateur à Annaba, ancien-président de la Chambre nationale de la pêche. ''Ce trafic de corail et le braconnage font la part belle aux réseaux de trafiquants qui le revendent à des intermédiaires étrangers", a-t-il déclaré à l'APS. ''Le projet de décret ministériel sur la pêche au corail, actuellement en préparation, est une bonne chose'', estime-t-il, car cela ''va éviter le trafic et la vente au noir du corail''. Il y a également ''la satisfaction de voir que le quota de pêche au corail dorénavant permis a été ramené à 300 kg/an au lieu des 800 kg/an dans l'ancienne loi'', ajoute-t-il. Farid M., pêcheur corailleur à Ténès (190 km à l'ouest d'Alger) où se trouvent les plus beaux spécimens de corail de la Méditerranée, ceux de couleur rouge sang de boeuf car en eaux profondes, estime lui également que la réouverture de la pêche au corail est une "bonne chose" pour les professionnels. Mieux, ''cela va contribuer à stopper les braconniers. Cet arrêté est (pour nous) comme une barrière solide, un pare-chocs contre les activités de braconnage''. Il ajoute que ''nous, exploitants-corailleurs sur une zone de 500 mètres, empêchons les braconniers de sévir par notre présence''. Pour autant, Mustapha Fardjallah, armateur-pêcheur et président de la chambre de la pêche de Chlef (200 km à l'ouest d'Alger), estime qu'il faut ''maintenir fermée la pêche au corail, qui est un bien de tous les Algériens''. ''Actuellement, il y a quelque 500 barques qui sortent chaque jour du port d'El-Kala (est du pays) pour aller braconner en toute quiétude'', explique-t-il, relevant que ''c'est une véritable guerre menée contre une ressource rare et précieuse. Et puis, le corail algérien est destiné en fin de parcours au marché étranger, au lieu de profiter aux transformateurs et aux artisans nationaux''. Par contre, A. Chouïab, président de la Chambre national de la pêche, relève la pertinence de la décision des pouvoirs publics de rouvrir la pêche au corail. ''C'est une décision bénéfique pour la profession, notamment pour réglementer cette activité, laminée par le braconnage, qui a fait des ravages dans les récifs de coraux'', estime-t-il. Selon lui, ''le projet de décret sur la pêche au corail va justement réglementer et encadrer de nouveau cette activité, d'autant que, pour nous, il s'agit surtout de protéger un écosystème fragile mis à rude épreuve par le braconnage''. L'unanimisme ambiant au sein de la corporation des armateurs corailleurs quant au projet de réouverture de la pêche au corail s'arrête là. Car, pour Mohamed Larbi Yahiouche, la réouverture de la pêche au corail "ne règle pas totalement le problème''. ''D'abord, dans le projet de décret, les concessions sont accordées selon une adjudication, c'est-à-dire au plus offrant, cela va écarter les professionnels de la pêche au corail au profit des détenteurs de capitaux, et surtout que ceux qui ont un atelier de transformation (du corail), comme exigé dans le projet de décret, vont être privilégiés. Dès lors, un bijoutier peut selon ce décret devenir un pêcheur de corail'', se désole Yahiouche. Pour lui, lutter contre le trafic de corail doit également être pris en compte par l'Etat ''en n'interdisant pas l'exportation légale et réglementée de corail brut''. Le système d'adjudication pour l'octroi de concession de pêche au corail est également dénoncé par ces professionnels, d'autant que pour le président de la chambre de la pêche de Chlef, le système de l'adjudication qui va être instauré par le ministère "peut évincer les professionnels de la pêche au corail, et laisser la porte ouverte aux détenteurs de capitaux''. Bref, le débat sur ce projet de réouverture de la pêche au corail ne fait que commencer.