L'Ong Action chrétienne pour l'abolition de la torture (Acat) et Me Joseph Breham ont déploré jeudi soir la décision marocaine de suspendre ses accords de coopération judiciaire avec la France, avertissant qu'elle «va avoir de graves conséquences». «Cette décision va favoriser l'impunité des tortionnaires en bloquant les demandes de transfèrement en France de ressortissants français détenus sur le territoire marocain ainsi que les demandes d'assistance judiciaire», ont déploré l'Ong et l'avocat dans un communiqué. La décision intervient à la suite de la crise diplomatique entre la France et le Maroc, née de plaintes pour torture déposées par l'Ong et Me Breham contre le patron du contre-espionnage marocain, (DGST), Abdellatif Hammouchi qui effectue une visite en France. Mme Hélène Legeay, responsable Maghreb/Moyen-Orient à l'Acat, a affirmé qu'en empêchant le transfèrement de détenus français condamnés au Maroc, «les autorités marocaines cherchent à les empêcher de porter plainte pour torture à leur arrivée en France». «Le Maroc prend en otages les prisonniers français pour assurer la pérennité du système tortionnaire marocain», a observé Mme Legeay. Me Breham a pour sa part considéré que «la réaction disproportionnée du Maroc face à un acte d'instruction des plus banals, comme il y en a des milliers exécutés tous les jours, aura des conséquences sur la vie quotidienne de milliers de Franco-Marocains». «Elle démontre la regrettable consubstantialité du système tortionnaire marocain avec son système pénal», a-t-il dit. Lors de son arrivée en France en mai 2013, Adil Lamtalsi, un franco-marocain, avait porté plainte pour torture. C'est à la suite de cette plainte qu'une juge d'instruction française a convoqué Abdellatif Hammouchi. Adil Lamtalsi a été arrêté le 30 septembre 2008 à Tanger. Transporté au centre de détention secret de Temara, géré par la DGST, il y a été torturé pendant trois jours, jusqu'à ce qu'il soit contraint d'apposer son empreinte sur des documents. Le 11 novembre 2008, il a été condamné à dix ans d'emprisonnement pour «trafic de stupéfiants», sur la base d'aveux obtenus sous la torture et sans avoir jamais vu de juge d'instruction, a précisé l'Acat. Le 20 février, à la demande de la justice française, des policiers se sont rendus à la résidence de l'ambassadeur du Maroc en France pour remettre une convocation au patron de la DGST pour l'entendre. Il est accusé de «complicité de torture» par trois victimes défendues par l'Acat (deux marocains et le militant sahraoui des droits de l'homme Naama Asfari). Face à la réaction du Maroc, le quai d'Orsay annonçait avoir «immédiatement demandé que toute la lumière soit faite, le plus rapidement possible, sur cet incident regrettable». Me Joseph Breham a alors affirmé qu'en fait «l'incident en question n'est autre qu'un acte judiciaire pris par un juge d'instruction français indépendant dont on ne peut que saluer la diligence et le sérieux». Il s'agit là d'«un acte judiciaire tout à fait conforme au code de procédure pénale français», a souligné l'avocat, relevant que «la réaction ubuesque du ministère des affaires étrangères signe la nervosité de l'administration quand sont mis en cause les «amis» de la France». «Il n'y a pas de ‘'lumière'' à faire ni même d'enquête à mener», a pour sa part observé Hélène Legeay, relevant que «dans une démocratie comme la France, le ministère des Affaires étrangères, en tant que branche du pouvoir exécutif, n'a absolument pas le droit de s'immiscer dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire». «La violation flagrante du principe fondamental de séparation des pouvoirs à laquelle s'est livré le quai d'Orsay dans sa déclaration est préoccupante», a-t-elle ajouté.