Au réveil, Nadir savait qu'il allait encore faire beau. Il y a des choses qui se sentent, juste comme ça, sans explication. Par la fenêtre de sa chambre, le soleil n'est jamais entré, pour des raisons de géographie, d'histoire et d'architecture. Mais ce matin, Nadir a compris qu'il était là. Non pas que le soleil soit assez chaud pour qu'on le sente sans le voir, non. Après tout, on est encore officiellement en hiver s'il faut encore croire le calendrier. «Officiellement», Nadir n'aime pas trop ce mot mais il est des situations où il ne peut pas l'éviter. Et les situations se sont bousculées au portillon, ces derniers temps. Officiellement, il y aura une élection présidentielle le 17 avril mais Nadir ne sait toujours pas si c'est… officiel. Il entend souvent Sellal dire qu'elles auront bien lieu mais Sellal ne le fait plus rire depuis qu'il a commencé à se prendre au sérieux. Il y a quelques jours, il avait entendu que quatre-vingt-sept candidats avaient officiellement déposé leurs dossiers de candidature à l'élection présidentielle, puis il a découvert qu'officiellement, il y en avait sept. C'est donc officiellement quatre-vingt prétendants à la présidence de la République qui sont laissés sur le carreau, même si Nadir n'a pas fait les comptes. Avant ça, il avait entendu dire que Bouteflika «jusqu'à preuve du contraire» n'était pas encore candidat. Puis il a découvert qu'il va être officiellement élu au printemps. Ce matin, Nadir a deviné le soleil au moment où il commençait à bayer en rejetant ses draps du bout des orteils. Il s'est rappelé que le Salon de l'auto allait ouvrir officiellement ses portes ce matin, alors, il s'est dit qu'il faut bien faire quelque chose de cette journée de printemps en hiver, en allant voir les voitures. Pas seulement voir, si affinités. Nadir est officiellement chômeur mais il n'arrête pas de changer de véhicule. Il dit même à ses copains que ce qui l'intéresse dans le Salon de l'auto, ce ne sont pas les réductions mais les nouveautés. Même s'il sait que les remises «officielles» sont rarement vérifiées devant les stands, il n'en fait pas une maladie. Quand on est chômeur, on ne compte pas. Ou on n'a rien à compter ou on en a trop pour le faire. Nadir s'est tiré du lit et déjà, il fulmine parce que la salle de bain est squattée par sa sœur qui, officiellement, doit déjà être au boulot. De toute façon, rien n'est jamais officiel avec sa sœur. Pour le boulot, il ne sait pas, il n'a jamais bossé. Nadir s'est fait un café en attendant que la salle de bain soit libérée. «C'est plus facile de libérer la Palestine», a-t-il marmonné entre ses dents, en mettant la cafetière au feu. Une demi-heure après, un siècle pour Nadir, la Palestine n'était toujours pas libérée mais la salle de bain si. Mais Nadir avait déjà officiellement renoncé à sa douche et à son rasage. Après un regard assassin à sa sœur, il est allé mettre le visage sous le robinet et le voilà déjà dans le parking. Officiellement, il ira au Salon de l'auto mais on ne sait jamais. Si on n'est pas sûr qu'une élection présidentielle officiellement annoncée se tiendra dans les délais, il ne voit pas pourquoi, il ne changera pas d'avis sur la route des Pins Maritimes. [email protected]