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«L'Algérie au centre d'une guerre psychologique entre l'EIIL et Al Qaïda» Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), au Temps d'Algérie :
Le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), Eric Denécé, évoque, dans cet entretien, l'offensive lancée par l'organisation «Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daâch), contre l'Irak et parle de la «rumeur» selon laquelle cette nébuleuse qui a perpétré de nombreux massacres en Syrie et en Irak cherche à créer sa «filiale» en Algérie. Le Temps d'Algérie : L'organisation terroriste Etat islamique en l'Irak et au Levant (EIIL), s'est emparée de plusieurs villes irakiennes. Vous attendiez-vous à ce scénario?
Eric Denécé : En tant qu'observateurs, nous sentions monter l'exaspération chez les sunnites et les Kurdes du nord de l'Irak, et le fossé s'élargir avec les chiites, majoritaires dans ce pays. Rappelons également qu'il y a six mois, les deux grandes villes de l'ouest de l'Irak, Ramadi et Faloudja, sont passées sous le contrôle de l'opposition sunnite à Baghdad. Si l'on y ajoute les zones «conquises» ces derniers jours, ce sont plus de 100 000 km2 du territoire irakien avec 10 millions d'habitants qui ont été «libérés» de la mainmise de Maliki. De plus, nous observions l'enlisement de l'EIIL en Syrie qui poursuit sa lutte fratricide contre le Front Al-Nosra et ses exactions mais recule contre l'armée de Bachar. Il lui fallait donc relancer sa dynamique.
Comment expliquer cette rapidité dans l'action de l'EIIL et le retrait de l'armée irakienne ?
Parce que la très grande majorité de la population est opposée aux forces du régime, qui sont à très grande majorité chiite. Elle n'aspire qu'à prendre son autonomie et à les chasser. D'ailleurs, ces forces, sentant que l'environnement leur est hostile, ont rapidement abandonné leurs positions pour se replier de manière peu glorieuses vers Baghdad. Les casernes avec toutes leurs armes et munitions sont tombées aux mains des insurgés et des tribus qui peuplent ces régions. Mais cela ne veut pas dire que la population accueille les djihadistes de l'EEIL avec enthousiasme. Beaucoup fuient les villes où ce groupe est entré par crainte de ses exactions et parce qu'ils ne veulent pas de la charia. Mais dans les zones où les combattants ne sont pas des djihadistes, aucun exode n'a, me semble-t-il été observé.
L'EIIL serait-il soutenu par des puissances étrangères?
L'EEIL a été initialement soutenu par l'Arabie saoudite avant d'être «racheté» par le Qatar. Riyad a alors favorisé la création d'un autre mouvement djihadiste en Syrie, le Front Al Nosra. Toutefois, il semblerait que le Qatar ait quelque peu réduit son aide à l'EIIL, depuis plusieurs mois, suite au changement d'émir. Et il est plus que probable qu'il reçoive également une aide de la Turquie, le régime d'Erdogan étant membre du mouvement international des Frères musulmans soutenu par le Qatar.
Y a-t-il un lien entre cette offensive de l'EIIL et la situation en Syrie ?
Indirectement peut-être, car le mouvement, né en Irak, est présent et opère dans les deux pays. Mais l'attaque actuelle est essentiellement une affaire irakienne. C'est une action de différentes composantes (djihadistes, ex-militaires de Saddam Hussein, membres du parti Baas, sunnites non extrémistes) qui se sont alliées pour l'occasion afin de lutter contre le régime chiite d'Al Maliki et sa politique d'exclusion systématique des autres composantes de la nation irakienne (sunnites et Kurdes). Si tous les opposants à Baghdad se sont rangés sous la bannière de l'EIIL, en réalité beaucoup n'en font pas partie et s'en dissocieront dès que leurs objectifs seront atteints (l'autonomie du Nord, voire l'indépendance du Kurdistan). Des affrontements internes ne sont pas à exclure.
Certains lient cette attaque de l'EIIL par une tentative d'encercler la Syrie à partir de l'Irak. Cette lecture est-elle plausible, selon vous ?
Au regard des événements actuels et des éléments dont nous disposons, je n'y crois pas. C'est peut être un objectif de l'EIIL, mais pas des autres factions. De plus, les djihadistes perdent chaque jour du terrain face aux forces de Damas et de ses alliés, lorsqu'ils ne se font pas la guerre entre eux. Au contraire, je pense que l'attaque irakienne permet de redorer le blason de l'EIIL, qui est en grande difficulté en Syrie Mais je n'écarte pas le fait que l'Arabie saoudite et le Qatar cherchent à tirer parti de la situation pour essayer de briser «l'arc chiite» et relancer, à terme, une offensive contre Bachar.
Des informations font état de la tentative de l'EIIL d'accéder en territoire algérien avec l'aide de «djihadistes» libyens. Ce scénario serait-il vraisemblable ?
Cette rumeur circule en effet, avec pour objectif de prendre pour cible l'Algérie sans qu'il soit possible de la vérifier pour l'instant. A mon sens, cela est peut-être un souhait de l'EIIL, mais je ne vois guère comment il pourrait le réaliser dans l'immédiat, toutes ses forces étant mobilisées en Irak et en Syrie. C'est aussi une forme de guerre psychologique et une illustration de la rivalité qui l'oppose à Al Qaïda. L'EIIL espère sans doute la défection de groupes ayant prêté serment à Al Zawahiri, qui pourrait rejoindre la nébuleuse concurrente dirigée par Al-Bagdadi, dont l'ambition semble ne pas avoir de limites. C'est pourquoi il parle déjà de sa future «filiale» au Maghreb arabe auquel il compte donner le patronyme «Dameth». Il n'est pas encore clair si ce patronyme signifie «Etat islamique au Maghreb islamique» ou «Etat islamique en Egypte et au Soudan». Pensez-vous que les services secrets américains et l'ambassade des USA en Irak ne soient pas renseignés de l'attaque de l'EIIL avant que cette dernière ne soit menée ?
Je pense, en effet, que les Américains disposaient d'informations. Ils sont dans ce pays depuis plus d'une décennie et y disposent de nombreux agents et moyens d'espionnage. Surtout que les Qataris et les sunnites sont leurs alliés. Mais je ne crois pas qu'ils aient directement soutenu cette offensive de l'EIIL qui déstabilise un peu plus la région et renforce le rôle de l'Iran.