Pour donner un aperçu de leur force de frappe, les djihadistes de l'EIIL ont pris en otages 48 citoyens turcs au consulat de Turquie à Mossoul, parmi lesquels le consul et des membres des forces spéciales. Les éléments de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daash) sont en passe de réussir en Irak ce qu'ils n'ont pas pu réaliser en Syrie : créer un émirat islamique sunnite dans la zone frontalière entre la Syrie et l'Irak. Et chaque jour qui passe semble les rapprocher de cet objectif. La preuve, mardi, les insurgés ont pris d'assaut et se sont s'emparé de l'ensemble de la province de Ninive, dont dépend la deuxième ville du pays, Mossoul, où les forces de sécurité ont fui en abandonnant uniformes et véhicules. Durant sa progression, l'EIIL a pris le contrôle de parties de deux autres provinces voisines, Salaheddine et Kirkouk, où 15 membres des forces irakiennes ont été exécutés hier. Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), les combats opposant forces de sécurité et insurgés dans la ville de Mossoul et sa région dans le nord de l'Irak ont fait fuir plus de 500 000 civils. Des spécialistes de l'Irak soutiennent que la perte de Ninive par Baghdad a, dans tous les cas, créé un immense corridor rebelle entre Anbar, Mossoul et la frontière syrienne qui va, à terme, faciliter l'acheminement d'armes, de financements et de combattants sur les différents fronts. Il faut savoir que la province d'Anbar, au sud de Ninive et frontalière de la Syrie, est déjà un territoire partiellement contrôlé par des combattants anti-gouvernementaux. La tâche leur a été rendue facile par la rébellion syrienne qui s'était emparée d'importantes zones dans l'Est syrien. Dans cette partie de l'Irak, l'Etat est quasiment absent. Les sunnites marginalisés Tous ces éléments imbriqués dans les uns les autres permettent de dire que la crise irakienne perdurera dans le temps. Aujourd'hui, l'existence même de l'Irak en tant qu'Etat ne tient qu'à un fil d'autant que le dispositif sécuritaire mis en place par Nouri Al Maliki pour combattre Al Qaîda s'avère inefficace. Sans le parapluie américain, l'Irak risque tout simplement de se désintégrer. Il faut dire aussi que Nouri Al Maliki est en train de payer cash sa politique de marginalisation des sunnites. C'est cette politique qui alimente le terrorisme et le conflit religieux qui oppose les sunnites aux chiites. Pas loin qu'hier, les insurgés se sont encore emparés de la ville de Tikrit, chef-lieu de la province de Salaheddine, située à mi-chemin entre Baghdad et la deuxième ville du pays, Mossoul, tombée mardi aux mains de l'insurrection. Dans un communiqué posté sur Twitter, l'EIIL a prévenu qu'il «n'arrêterait pas cette série d'invasions bénies». Pour donner un aperçu de leur force de frappe, les djihadistes de l'EIIL ont pris en otages 48 citoyens turcs au consulat de Turquie à Mossoul, parmi lesquels le consul et des membres des forces spéciales. Jusque-là, les Turcs qui soutiennent la rébellion en Syrie avaient été épargnés par les insurgés. «Quarante-huit Turcs, dont le consul, des membres de son équipe, des soldats des forces spéciales et trois enfants ont été enlevés», a déclaré à la presse un responsable turc. Au moins 28 chauffeurs de poids lourds turcs sont également aux mains des combattants d'EIIL depuis mardi. Une réunion d'urgence était d'ailleurs en cours hier après-midi autour du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, à laquelle participait le vice-Premier ministre, Besir Atalay, et le patron des services de renseignement (MIT) Hakan Fidan, a ajouté la même source. Que reproche l'EIIL à Istanbul qui l'a pourtant beaucoup aidé ? Mystère ! Le Moyen-Orient en état d'alerte Face à la crainte de voir toute la région tomber entre les mains de l'EIIL, la Syrie s'est dite prête à coopérer avec l'Irak pour lutter contre les groupes armés activant dans les deux pays. «Le terrorisme soutenu par l'étranger auquel fait face l'Irak frère est le même qui sévit en Syrie», a indiqué un communiqué du ministère syrien des Affaires étrangères. Le gouvernement syrien est «prêt à coopérer avec l'Irak pour faire face au terrorisme, cet ennemi commun», poursuit le texte. «Ce terrorisme menace la paix et la sécurité dans la région et le monde», a indiqué le ministère syrien, appelant le Conseil de sécurité de l'ONU «à prendre des décisions claires condamnant ces actes terroristes et criminels et à agir contre les pays soutenant ces groupes». En attendant de voir cette coopération irako-syrienne se concrétiser sur le terrain, le dirigeant chiite Moqtada Sadr a appelé hier à la formation de brigades pour défendre les sites religieux en Irak. «Je ne peux pas rester silencieux et les mains croisées face au danger qui guette les lieux saints. Donc je suis prêt à travailler en coordination avec le gouvernement afin de former des brigades de la paix», a dit ce dirigeant dans un communiqué. Sa proposition intervient au lendemain même de l'annonce par le gouvernement de Nouri Al Maliki qu'il allait fournir des armes à tous les citoyens qui se porteraient volontaires pour combattre les insurgés. «J'annonce que mes partisans et moi sommes prêts à aider à former ces brigades afin de défendre nos lieux sacrés face aux offensives des forces obscurantistes», a dit Moqtada Sadr. Face à la faillite de la politique sécuritaire mise en place par Al Maliki, l'idée d'armer la population peut être utile. Seulement, dans le cas irakien, elle peut s'avérer être une arme à double tranchant. Il existe un clivage tellement profond entre les sunnites, les kurdes et les chiites qu'une telle initiative peut en effet servir de carburant à la guerre civile et contribuer à accélérer l'éclatement de l'Irak. En clair, la solution risque d'être pire que le problème.