Les Etats-Unis envisagent de dialoguer avec l'Iran en vue de soutenir le gouvernement irakien, dominé par les chiites, dans sa lutte pour endiguer l'avancée des insurgés sunnites, qui se sont emparés d'une partie du nord de l'Irak la semaine dernière. La progression fulgurante des combattants de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) menace l'Irak de démembrement et d'un conflit intercommunautaire qui se propagerait à d'autres secteurs du Proche-Orient, sans distinction des frontières, que les insurgés précisément rejettent. Une opération concertée des Etats-Unis et de l'Iran pour défendre leur allié commun, le Premier ministre irakien Nouri al Maliki, marquerait une évolution de taille après la longue phase d'inimitié qui remonte à la révolution islamique de 1979 et à la longue prise d'otages à l'ambassade américaine de Téhéran. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry, estimant que l'existence même de l'Irak était menacée, a déclaré lundi que les Etats-Unis étaient ouverts à des discussions avec l'Iran sur les moyens de contrer l'offensive djihadiste en Irak et n'excluaient pas des frappes aériennes. «Quand on voit des gens assassiner et commettre des massacres, il faut bien les arrêter. Et il faut se donner les moyens de les arrêter, que ce soit par des attaques aériennes ou par d'autres moyens», a-t-il dit dans une interview à Yahoo ! News. La volonté de rapprochement avec Téhéran illustre le degré d'inquiétude suscité par l'offensive de l'EIIL. Les insurgés sunnites se sont emparés dans la nuit de dimanche à lundi de Tal Afar, ville du nord-ouest de l'Irak peuplée essentiellement de Turkmènes, consolidant ainsi leur emprise sur le Nord. Un responsable de Tal Afar a fait état de nombreux tués dans les combats pour le contrôle de la ville, située non loin de Mossoul, deuxième métropole d'Irak, dont l'EIIL a pris le contrôle mardi dernier au tout début de son offensive. Tal Afar était défendue par une unité des forces de sécurité irakiennes commandée par un général chiite, Abou Walid, dont les soldats étaient parmi les rares, dans la région de Mossoul, à ne pas avoir fui face à l'avancée rapide des insurgés sunnites. Lundi, une autre ville - Saklaouiya, à l'ouest de Baghdad - est tombée entre les mains des djihadistes de l'EIIL et de leurs alliés des tribus sunnites. Les djihadistes se sont emparés, dans cette ville proche de Falloudja, de six véhicules Humvee et de deux blindés, qui s'ajoutent à l'arsenal d'engins blindés de fabrication américaine pris depuis le début de la débandade de l'armée régulière. Un porte-parole de l'armée à Baghdad a fait aussi état de combats au sud de la capitale. Selon lui, 56 ennemis ont été tués ces dernières 24 heures lors de différents engagements. Quant au Premier ministre irakien, le chiite Nouri al Maliki, la télévision irakienne l'a montré lundi recevant des responsables militaires, devant lesquels il a juré d'écraser le soulèvement et de destituer les hommes politiques et les officiers qui ont failli à leur devoir à Mossoul. «Nous purgerons l'Irak de ses traîtres (...). Les trahisons ont renforcé notre détermination et notre force, et je promets qu'une mer humaine déferlera pour que soit tournée cette page sombre de l'histoire de l'Irak», a dit Maliki. Le Qatar et l'Arabie Saoudite, deux pays dirigés par des sunnites, ont imputé au gouvernement Maliki et à sa «politique d'exclusion» la responsabilité de l'offensive des djihadistes. En 2011, le vice-président sunnite d'Irak, Tarek al Hachémi, visé par un mandat d'arrêt pour faits de terrorisme, avait fui Baghdad. Les forces irakiennes avaient par ailleurs dispersé violemment des manifestations antigouvernementales qui avaient débuté en 2012 dans la province d'Anbar majoritairement sunnite. Hachémi a estimé lundi au micro de la BBC que la solution au conflit en cours en Irak passerait par un départ de Maliki : «Ce qui s'est produit est un soulèvement des Arabes sunnites d'Irak face à l'oppression et à leur marginalisation. Toute solution au conflit passera par un départ de Maliki du pouvoir.» Aujourd'hui, l'EIIL, qui aspire à instaurer un califat sunnite en Irak et en Syrie, combat aussi en Syrie face au régime de Bachar al Assad, allié de l'Iran. A Tikrit, l'une des villes conquises la semaine dernière, l'EIIL affirme avoir exécuté 1 700 des 2 500 soldats faits prisonniers. Même si ce chiffre apparaît exagéré, il pourrait y avoir eu des centaines d'exécutions. La progression de l'EIIL a été stoppée sur le Tigre à une heure de route au nord de Baghdad. Les djihadistes tiennent la majeure partie de la vallée de l'Euphrate, à l'ouest, soit non loin des portes de la capitale et de ses sept millions d'habitants. S'exprimant sous le couvert de l'anonymat, un haut responsable américain a déclaré dimanche que Washington envisageait de contacter l'Iran pour rechercher avec les Iraniens des moyens d'aider le gouvernement de Baghdad. En public, la Maison Blanche assure qu'aucun contact de ce genre n'a été noué pour le moment. A Londres, un porte-parole du Premier ministre David Cameron a confirmé que la Grande-Bretagne avait déjà fait des ouvertures ces derniers jours en direction de Téhéran. Barack Obama a exclu de renvoyer des troupes au sol en Irak, et dit étudier d'autres possibilités, comme par exemple des frappes aériennes. Un porte-avions américain, le George H.W. Bush, a fait son entrée dans le Golfe, accompagné d'un croiseur lance-missiles, le Philippine Sea, et d'un destroyer, le Truxtun. Un autre navire américain, l'USS Mesa Verde, avec 550 «marines» à bord, se dirige vers le Golfe, a rapporté CNN. Samedi, le président iranien Hassan Rohani avait déclaré que Téhéran envisagerait de coopérer avec les Américains en Irak s'il voyait que Washington souhaitait combattre les «organisations terroristes».