L'édition Barzakh a publié, dans une collection intitulée L'œil du désert, quatre livres. Il s'agit de récits et de romans «courts», d'une exacte rigueur. Boudjedra, Eberhardt, Monod et Ayyoub nous invitent à travers leurs écrits à pénétrer au cœur du désert qui est vraiment les entrailles de la terre. Ici, dans la chaleur, se crée le mouvement de la pensée, de l'action, de la passion. La voix s'efforce à sauver l'instant pour se justifier et rendre la vie possible. Ces récits sont d'une fascinante beauté, où chaque phrase est comme une pierre dans le gué... Les défricheurs du désert. Maxence au désert, de Théodore Monod Tout a commencé par la découverte d'un petit livre d'Ernest Psichari intitulé Le voyage de centurion paru en 1915. C'est à partir de là que commence l'aventure littéraire pour Théodore Monod, un féru de botanique et d'océanographie. De la mer au désert, il mène un tumultueux voyage qui ravive sa passion pour la flore et pour tout ce qui bouge. Dans ce récit, Maxence au désert, Monod raconte le désert mauritanien qu'il a traversé entre octobre et novembre 1923. Il n'avait que 21 ans. La beauté du paysage Avec un style de bon conteur et la précision d'un scientifique, l'auteur retrace cet itinéraire de la traversée du désert. Il s'attarde souvent dans la description d'une femme en voile bleu qui danse, d'enfants nus et le cuivre de la lumière aveuglante. Dans ce livre écrit à partir d'un journal qu'il tenait au cours de son voyage, Monod ne s'arrête pas là où son regard s'atténue, il va au-delà de sa vision pour nous rappeler l'histoire de ce peuple constitué de Berbères et d'Arabes. «Maxence passe la journée dans l'attente : de temps en temps, il boit dans l'écuelle douteuse de lait salé des chamelles.» Même si Maxence (le personnage principal du récit) se laisse gagner par la beauté du paysage, son «appétit» inassouvi de la botanique se retrouve dans la découverte de la flore et des insectes du désert. «Pendant les repas, Maxence a placé son flacon à insectes à côté de lui et capturé autour du photophore quantité d'insectes variés.» Le poète voyageur Ce défricheur du désert parvient avec une grande sensibilité poétique à accrocher le lecteur par son style fluide et son apport harmonieux avec la nature. Le soleil, le sable violacé, les femmes maures aux tresses d'ébène, des bijoux d'ombre et d'agate, puis il y a les méharistes, la tente, l'acacia et la caravane passe. Les mots sont puisés comme l'eau au fond d'un puits du désert qui voyage en Orient. C'est aussi une manière de fuir le rationalisme et le matérialisme tyranniques. Si l'exotisme fut la recherche d'un ailleurs, c'est aussi la quête d'un idéal nourrie de culture ancienne qui guide les artistes, les hommes de lettres et les naturalistes même dans leur curiosité pour l'étrangeté de la réalité qu'ils découvraient. En publiant cet ouvrage, Théodore Monod a en somme démontré par son expérience que la vie harmonieuse est possible même dans le désert. Théodore Monod (1990-2000), infatigable arpenteur du désert, est considéré comme le dernier des naturalistes. Il a même une carrière de botaniste, d'océanographe, d'ichtyologue, de directeur de l'institut d'Afrique noire, de membre de l'Académie des sciences et de professeur honoraire au Museum d'histoire naturelle. Auteur de nombreux ouvrages et articles, il s'est battu sans relâche pour le respect de toute forme de vie. Louis Massignon et Amadou Hampate Ba ont compté parmi ses amis. Cinq fragments du désert de Rachid Boudjedra Ici les mots coulent comme du sable entre les doigts. Le désert devient un jardin magique où les couleurs obéissent au reflet du soleil. Dans ce silence de la terre, il y a «une vie qui donne une envie poétique du monde». C'est Cinq fragments du désert de Rachid Boudjedra. Tirant sa substance de la poésie de Saint-John Perse, Boudjedra prend le chemin du désert algérien. Tout l'univers devient ici insolite, inquiétant, où l'auteur paraît éprouver la hantise d'une présence qu'il ne pourrait saisir. Entre l'apparence et l'essence, et la tension qui anime cette œuvre, l'appel par-dessus ce vide est le désir de transcender. «Ici dans ce Sahara se fixe la sauvagerie du monde et sa prodigieuse capacité à donner aux hommes de l'exaltation, de la dérision et le sens de la mort, de la folie, du sens divin. Aussi !!!» Les couleurs du désert Les oiseaux venus d'un autre monde se mêlent au décor. Oiseaux magiques, mythologiques, au coloriage indescriptible. Mais l'auteur prend cet élan pour accrocher le vol de cette espèce qui résiste à la chaleur et aux vents. La vie est ici décrite avec des mots qui expriment une fièvre minérale. Les nuits de la solitude et l'errance. Les couleurs sous le soleil sont insaisissables, allant du vert, ocre, bleu, rose, safran au jaune. Cinq fragments du désert se présente comme une œuvre picturale, un livre qui jaillit de l'intérieur et qui exprime tout ce qui ressent une âme bercée par la beauté de la nature et blessée par les énigmatiques voix suspendues dans les mirages de la vie. Adonis, El Halladj et Lorand Gaspar trottent dans l'esprit du poète qui s'adonne avec ivresse à ce voyage. Au cœur du Sahara, le Hoggar et puis Tin Hinane veille. Il y a aussi Ah Ellil (les gens de la nuit) qui, par leur chant, incitent à la transe. Cinq fragments du désert, un périple extatique qui exhorte au rêve. Il se situe entre l'intemporel et le temporel, la folie et la sagesse. Surtout la folie de dire en alchimiste des mots, Boudjedra nous conte le désert dans une spirale bouleversante faite de refrains modulés aux rythmes du temps. Rachid Boujedra est né en 1941 à Aïn Beïda. Il a enseigné la philosophie jusqu'en 1972 avant de se consacrer entièrement à la littérature. Il compte plus d'une vingtaine d'ouvrages dans les registres : essai, poésie, théâtre, roman. Il a été traduit en 26 langues. Le Gardien de Habib Ayyoub Le récit de Habib Ayyoub, Le Gardien, commence par «dans une pièce nue, un enfant fiévreux dormait… Il sera le rescapé de cette spirale infernale imposée par ce gardien du temps. Dans ce village désertique, les habitants attendent avec impatience le gouvernement pour leur creuser un puits. Mais ce projet sera détourné et on leur érige une stèle en béton, dont la garde sera assurée par une garnison instaurée à cet effet. L'eau arrive quand même dans des tuyaux noirs… mais elle a un goût saumâtre. Il ne restait à cette population qu'à se réapproprier leur foggara héritée de leurs ancêtres. Elle coule de source.» Inspiré des réalités du pays, ce récit est construit sur une intrigue stratifiée. Nous sommes ainsi en présence de ce monde terrible et merveilleux où les hommes ne sont plus que des fonctions, mais des images et d'autant plus réelles dans un temps dont on ne connaît pas les limites. La dérision «Peu à peu, elle se mit, à force d'envie et de jalousie acariâtre, à ressembler à une chienne enragée, capable de se mordre elle-même, si elle n'arrivait pas à trouver dans ses parages immédiats un être vivant dans lequel enfoncer ses crocs.» Balançant entre l'absurde dont s'est illustré Kafka dans Le Château et La Métamorphose et les contes des Mille et une Nuits dont s'est inspiré, pour Cent ans de solitude, Gabriel Garcia Marquez, Le Gardien, qui est le premier livre de Habib Ayyoub, met en accusation ce monde malade, fourbe, laid, mort, gelé : «Le chemin de ronde devint le plus en plus la trompette, pour sonner la draine, le rassemblement ou la relève de la garde...» Dans ce simple décor, tout est inhumain, comme ces corbeaux qui planent sur leur paroi entre des mascarades, illustrant chacun une veulerie particulière : «Le chef suprême soupira avec lassitude, avant de se baisser, craquant de toutes ses articulations, pour le ramasser.» Le Gardien est un récit qui décrit avec dérision ce monde traqué et tronqué dont les brutes sont les maîtres. Habib Ayyoub est né à Dellys. Il a effectué une formation de cinéaste et a travaillé comme journaliste. Le Gardien est son premier roman. L'écriture du sable d'Isabelle Eberhardt L'écriture du sable est un recueil de nouvelles d'Isabelle Eberhardt. Ces onze nouvelles extraites de Pages d'islam expriment la volonté de cette femme venue du bout du monde pour conter l'histoire d'un peuple qui lutte pour la raison d'être et pour son indépendance. Minutieuse dans son travail, attentive aux humbles, elle traduit les souffrances, mais aussi les joies, arrachées à la dérobée de ce peuple colonisé. «Sur des chariots, sur les mules, à pied ou poussant devant eux de petits ânes chargés, les ziar de Sidi Abdelkader se dispersent pour gagner leurs douars, cachés par là-bas dans le flamboiement morne de la campagne.»Eberhardt a décrit les vicissitudes de la vie, mais «le mage», «la main», «le magicien» ou «le meddah» sont des scènes frappantes prises par la beauté du désert. Elle n'en finira pas de vivre parmi les Algériens et d'adopter cette vie bédouine qu'elle ne quittera jamais. Dans la deuxième partie du recueil intitulée «Femmes», l'auteur dénonce certaines pratiques qui font de la femme un objet, un être soumis aux désirs de l'homme. C'est avec un sens d'observation aigu et un style raffiné qu'elle raconte la douleur des femmes : «Achoura était pour Chérif, douce et soumise sans passivité. Elle était heureuse de servir, de s'humilier devant lui, et sa façon de maître despotique lui plaisait.» Elle voyait les choses telles qu'on aurait dû les voir Ce Rimbaud féminin comme beaucoup aiment à l'appeler sillonna l'Algérie de 1897 à 1904. Impulsions et douleurs enfantent la fécondité, le mystérieux élan de vivre vers les rêves azurés. «Les êtres vraiment supérieurs, en ce monde tel qu'il est de nos jours, sont ceux qui souffrent du mal sublime de l'enfantement perpétuel d'un moi meilleur», écrivait-elle en 1900. Le travail littéraire est aussi un exil qui pousse à la conquête de soi et donne ainsi un nouvel élan de vivre. Isabelle dans ce cas a choisi le pays des chotts et des sebkhas dangereuses, l'Algérie. Avec cet œil migrateur, Isabelle Eberhardt a su dire les choses avec une grande sincérité, toutes les choses qui échappent à notre regard, car usé par l'habitude aveuglante de ce monde. Elle laissa derrière elle des notes, des récits de voyages, des nouvelles et des romans inachevés. Isabelle Eberhardt, une âme aventureuse, avide de vie, de grands espaces et de liberté. Isabelle Eberhardt est née en Suisse (d'origine russe), elle est décédée en 1904 en Algérie, emportée par la crue d'un oued à Aïn Sefra. Isabelle Erzberger avait eu une vie brève et tragique. Cette jeune femme était une artiste ardente, tourmentée d'infini, éprise d'absolu : une âme qui sent le malheur et la mort. Elle laisse derrière elle plusieurs nouvelles inachevées.