Mercredi dernier, la salle vidéo du musée du cinéma accueillait presque anonymement, malgré les annonces parues dans les journaux, une rencontre littéraire avec comme invité Rachid Boudjedra. L'auteur de quelque vingt oeuvres, un écrivain traduit en 26 langues, a rassemblé à peine de quoi remplir cette petite salle réservée d'habitude aux rencontres cinématographiques intimes. Les Editions Barzakh devaient annoncer lors de cette rencontre leurs nouvelles parutions avec à l'honneur ce personnage qu'est Boujedra co-signant, avec Isabelle Eberhardt, Téodore Monod et Habib Ayyoub, la série d'ouvrages intitulée l'oeil du désert. La série composée par la maison d'édition cherche à faire du désert, notre désert, la trame sur laquelle s'incrusteraient des écrits. Perceptions nordiques au contact de ce trésor géologique ou bien contemplations saturées de divagations mystiques, l'expression qui se rapporte à cet espace lunaire qui a de tout temps secoué l'homme est circonscrite à quatre pensées. Isabelle Enberhardt, mystique illuminée par les sourdes clameurs des espaces arides et Théodore Monod, scientifique éberlué, qu'aucune généalogie ne prédisposait à fouler ces sentiers de la désolation, y ont recouvert des vies insoupçonnées. Habib Ayyoub, avec son récit intitulé Le gardien, est le grand inconnu de cette collection. Boudjedra, présent, ne fera pas dans la demi-mesure. Résultat: un show médiatiquement détonant. Contestataire jusqu'au bout des ongles, l'écrivain politiquement incorrect, ne ménagera aucune susceptibilité. Les présents étaient là pour l'écouter et, quand Boudjedra parle, on ne risque pas de s'endormir. Chaque phrase est une détonation ; les critiques des fausses vérités que tout le monde connaît mais que personne n'ose pourfendre ni même penser à le faire, sont lancées comme si elles étaient les termes d'une large acception. Boudjedra n'a, par exemple, aucune gêne à se dire athée et à le répéter devant une assemblée de journalistes censée véhiculer son image. Le personnage public le plus censuré, le plus menaçant envers la santé mentale du pays, fait une gentille halte chez les barzakhiens comme pour les gratifier de son assentiment, de sa satisfaction, geste condescendant qu'il ne manquera pas de marquer sans fausse modestie. Cinq fragments du désert, titre de son recueil, était, à l'origine, un projet de contribution au quatrième numéro de la revue culturelle de Barzakh, Parking Nomade, consacré au désert. Timimoun et Le FIS de la haine, deux épisodes de l'oeuvre de Boudjedra que l'auteur n'oubliera pas de sitôt. «J'ai beaucoup souffert de la lâcheté des éditeurs algériens» lancera-t-il avec amertume. Ces deux livres, anecdote qu'il ne manque pas de rappeler dès que l'occasion se présente, sont entrés en Algérie dans ses valises après son recours à un éditeur allemand. On aurait pu assister à une rupture, sans doute justifiée, mais, après s'être approché des jeunes maisons d'édition que sont Barzakh et El Ikhtilaf, Boudjedra semble s'attendrir face aux étonnantes capacités qu'elles détiennent. A partir de la poésie de St John Perse, il déroule donc pour les beaux yeux de Barzakh ses Fragments, un court exercice de dissertation, une gymnastique où les mots se dénudent de leurs formalités pour ne garder que la forme.