Plus de 142 millions de Brésiliens votaient dimanche pour le premier tour d'une élection dont la présidente de gauche Dilma Rousseff est donnée grande favorite avec plus de 40% des intentions de vote, à l'issue d'une campagne à rebondissements. Candidate du Parti des travailleurs (PT) pour un second mandat, Mme Rousseff, 66 ans, devra sans doute disputer un second tour, le 26 octobre, face à l'un des deux grands candidats du changement, le classique social-démocrate Aecio Neves ou l'atypique écologiste Marina Silva, détrônée au fil des semaines de son statut de favorite surprise. Les électeurs du géant émergent d'Amérique latine sont partagés entre fidélité au bilan des conquêtes sociales initiées par l'ex-président Lula (2003-2010), le mentor de Mme Rousseff, et partisans d'une alternance au centre pour relancer l'économie en panne. Les Brésiliens doivent élire aussi dimanche leurs 513 députés fédéraux, 1.069 députés régionaux, au scrutin de liste proportionnel à un tour, ainsi que 27 gouverneurs et un tiers du sénat (27 sièges) parmi plus de 26.000 candidats. A la mi-journée, le scrutin se déroulait sans incident dans ce pays continent de 202 millions d'habitants grand comme 15 fois de la France, où plus de 400.000 policiers et militaires ont été mobilisés. Le vote, obligatoire au Brésil, devait prendre fin à 17H00 (20H00 GMT), premières tendances et résultats étant attendus environ deux heures plus tard. Mme Rousseff, vêtue d'un corsage rouge - couleur de son parti - a voté un peu avant 09H00 (12H00 GMT) à Porto Alegre (sud). Avant de poser pour les photographes, tout sourire, en levant le pouce. Elle s'est dite prête à "affronter un second tour", qu'elle aborderait également en favorite avec une avance confortable, mais où elle pourrait être confrontée à un front anti-PT. Le sénateur Aecio Neves, 54 ans, candidat du Parti-social démocrate brésilien (PSDB), de l'ancien président Fernando Henrique Cardoso (1995-2002), a voté peu après 10H00 (13H00) à Belo Horizonte, la capitale de l'Etat de Minas, le deuxième le plus peuplé du Brésil dont il a été deux fois le très populaire gouverneur. Longtemps relégué loin derrière ses deux rivales, cet économiste aux goûts mondains a dépassé pour la première fois Marina Silva dans les sondages, samedi... à la veille du scrutin. M. Neves obtiendrait 24 à 27% contre 21 à 24% pour Mme Silva. Tout sourire, au côté de son épouse blonde, une ex-top modèle, il a exécuté le V de la victoire, "se disant serein". Les sondages de samedi "n'ont pas été une surprise", a assuré ce partisan d'un retour à une gestion économique orthodoxe. Marina Silva, 56 ans, en corsage jaune et jupe longue à fleur, a voté peu après 10H30 à Rio Branco, capitale de l'Etat amazonien de l'Acre (nord). C'est dans cet Etat que cette fervente évangélique a travaillé, enfant, à la récolte du latex, avant d'apprendre à lire et écrire à 16 ans et d'entamer son parcours militant hors du commun. Une folle campagne Ces élections interviennent au terme d'une folle campagne électorale aux incessants rebondissements, révélatrice des doutes qui agitent ce pays en pleines mutations. Propulsée de manière inattendue dans la campagne après la mort dans un accident d'avion en août de son allié, le candidat du PSB Eduardo Campos, Marina Silva avait déclenché un tsunami dans les sondages, au point d'être donnée largement victorieuse sur Mme Rousseff en cas de second tour. Mais elle a peu à peu été rattrapée puis dépassée par Mme Rousseff. Avant de voir revenir sur ses talons le sénateur Neves, tous deux poussés par les puissantes machines électorales de leurs partis de gouvernement. Le phénomène Marina Silva et sa promesse de "nouvelle politique" en rupture avec le jeu des grands partis traditionnels, pourraient donc n'avoir été qu'un feu de paille. Et le Brésil se dirigerait vers un classique duel entre les candidats du PT et du PSDB, qui se partagent le pouvoir depuis 20 ans. Le panorama de ces élections est bien différent de celles de 2010, remportées par Mme Rousseff dans l'euphorie finissante du miracle socio-économique des années Lula. Le vent a tourné : quatre ans de croissance au ralenti jusqu'à l'entrée en récession au premier semestre, sur fond de poussée de l'inflation (6,5%) et de dégradation des comptes publics. Un maigre bilan contrebalancé par un taux de chômage historiquement bas (4,9%). Le classe politique a été ébranlée par la fronde sociale historique de juin 2013: les jeunes de la génération Lula avaient manifesté en masse contre la corruption des élites et exigé une amélioration radicale de l'éducation, des hôpitaux et des transports publics. Le PT a vu son image ternie par des scandales de corruption. Mais son héritage de programmes sociaux et d'amélioration du niveau de vie lui vaut le soutien fidèle des classes populaires et des régions déshéritées comme le Nord-est où il est ultra-favori. Plus de 40 millions de pauvres ont rejoint une classe moyenne pour la première fois majoritaire à ces élections, et accédé à la consommation depuis 2003. La classe moyenne, dont la situation économique a stagné ces quatre dernières années, est aujourd'hui divisée, en particulier dans le Sud-est industrialisé des mégapoles de Rio de Janeiro et Sao Paulo.