Autrefois, les Tunisiens ne venaient pas spécialement en Algérie pour fabriquer et vendre de la zlabia durant le mois du Ramadhan, mais bien dans un cadre artistique. Déjà dans les années 1920 et 1930, les plus grands noms de la chanson tunisienne étaient à l'affiche aux côtés des chanteurs algériens. La grande et très belle chanteuse Habiba M'sika avait chanté en 1929 au café de Blasset El Djininar (place du général) où se trouve aujourd'hui la maison de l' Emir Abdelkader récemment transformée en musée. Habiba M'sika qui était classée comme l'une des plus grandes chanteuses arabes après l'inégalable Oum Kaltoum était d'une beauté exceptionnelle. Elle aurait même été classée plus belle femme du monde et à une ressemblance avec la Joconde. Trop libertine Habiba M'sika collectionnait les amants. D'ailleurs, elle fut brûlée vive par l'un d'eux dans son appartement de Tunis. Cheikh El Afrit, une grande star Le chanteur tunisien qui avait le plus de fans en Algérie était sans nul doute le chanteur juif Cheikh El Afrit. Tous les Algériens de l'époque collectionnaient ses disques 78 tours et apprenaient par cœur ses chansons. Les nostalgiques n'ont toujours pas oublié les succès Qleqt Ou Mellit et Moghyar. Né en 1890 à Tunis, Issirène Rozzio dit Cheikh El Afrit a été marqué dès son jeune âge par le divorce de ses parents. Son père marocain a laissé sa mère tripolitaine avec ses 7 enfants dans la misère, ce qui poussa El Frit à se mettre au travail pour subvenir aux besoins de sa famille. Il sera d'abord, vendeur de pâtisserie orientale puis «hammas» (pilonneur de café) alors qu'il n'était qu'un jeune adolescent. C'est durant cette période que des passants qui l'écoutaient chanter tout en travaillant lui conseillèrent de se lancer dans une carrière artistique. A 18 ans, il se lance dans le monde professionnel de la chanson, et il est vite invité à enregistrer un disque 78 tours chez Polyphone. Le succès ne se fera pas attendre et les propositions de tournées en Tunisie, au Maroc et en Algérie allaient faire de lui l'un des chanteurs les plus en vogue de l'époque. Il deviendra également le chanteur préféré du bey de Tunis qui l'invitera à chanter lors des soirées qu'il organisait dans son palais tous les mardis. C'est ce bey qui avait offert un diplôme à l'artisan luthier Mahieddine Nifer qui possédait dans les années 80, une boutique à Belouizdad et une autre au village des artistes de Ryadh El Feth. L'un des enfants de Nifer tient toujours l'atelier du village des artistes tandis que son frère est parti en Europe. Il faut dire que Cheikh El Afrit était accompagné par de grands musiciens tels que Albert Abitbol au violon, Maurice Benais au ôud (luth) et Messaoud Habib au menfekh (piano à pression). Dans un enregistrement rare, la chanteuse Meriem Fekkai ( El Bessekria) a été accompagnée par le pianiste Messaoud et notre grand violoniste Abdelghani Belkaïd (âgé aujourd' hui de 90 ans) et qui mérite bien un hommage. Cheikh El Afrit qui a produit près de 400 chansons était souvent invité à donner des spectacles dans toutes les villes algériennes. Il est mort le 26 juillet 1939, dans le quartier Ariana suite à une pneumonie due à ses longues soirées de travail auprès de sa fille qui l'aidait à transcrire les chansons. Le tombeau de Cheikh El Afrit se trouve en Palestine occupée. Le chanteur juif tunisien Raoul Journo est aussi inhumé à Jérusalem. D'autres grands chanteurs se produisaient régulièrement en Algérie. Mohamed El djamoussi était tellement apprécié en Algérie qu'il est devenu directeur de l'Opéra d'Alger de 1948 à 1951. Il y rencontra de grands artistes dont le comédien Egyptien Youcef Wahbi qui l'invita à rejoindre le Caire. El Djamoussi a également participé aux tournées Mahieddine à travers les villes d'Algérie. Ce grand chanteur qui a joué dans des films de cinéma a, par la suite, composé pour la chanteuse Warda El Djazaïria qui était au début de sa carrière. Très cultivé, il a écrit deux recueils de poèmes. Le raffiné et beau chanteur Ali Riahi a également fait plusieurs tournées en Algérie entre 1945 et 1949. Il a donnée aussi des galas à l'Opéra d'Alger. Ses disques faisaient également partie des collections des mélomanes algériens. Ali Riahi est mort le 27 mars 1970, suite à une crise cardiaque alors qu'il donnait un concert sur la scène du théâtre municipal de Tunis. Hassiba Rochdi était aussi une habituée des salles de spectacle algériennes tout comme Latifa Ettounsia, Saliha, Soulef et Ouleya qui étaient, par ailleurs, très appréciées par les Algériens. Ahmed Hamza a chanté au Panaf Après l'indépendance, c'est surtout Ahmed Hamza qui obtient un succès chez nous notamment avec Chahloula et Djari ya Hammouda enregistrée également par Ouleya. Il avait représenté la Tunisie au festival Panafricain de 1969. Il est revenu plusieurs fois par la suite notamment pour la célébration du 10 e anniversaire de l'indépendance. Ahmed Hamza, qui est âgé de 78 ans aujourd'hui, serait toujours en forme pour remonter sur scène et créer la surprise en participant au prochain festival panafricain qui se tiendra en juillet prochain. Il est à signaler que les chanteurs algériens se produisaient aussi en Tunisie. D'ailleurs, les tunisiens d'un certain âge aiment toujours écouter Rabah Driassa, Seloua et Nora. On ne sait pas pourquoi, les échanges entre l'Algérie et la Tunisie ont diminué.