Il a un lourd bilan en matière de droits de l'Homme mais c'est acteur régional incontournable: le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est accueilli mercredi en France pour une visite de deux jours dominée par les questions de sécurité, particulièrement le problème libyen. M. Sissi, qui arrive d'Italie, effectue sa première tournée en Europe depuis sa prise de pouvoir en juillet 2013 puis sa confortable élection en mai. Malgré l'implacable répression envers les partisans de son prédécesseur islamiste Mohamed Morsi (plus de 1.400 morts et 15.000 personnes emprisonnées) et l'autoritarisme du nouveau pouvoir, le président Sissi, en quête de légitimité internationale, reste "un partenaire stratégique" incontournable, comme l'a souligné Rome, et l'Egypte "un grand pays et grand partenaire de la France" selon Paris. "Oui, on considère que Sissi est légitime. Pour autant, il y a beaucoup à dire. Nous sommes conscients des tensions, les journalistes emprisonnés, la répression qui s'exerce bien au-delà de la lutte antiterroriste", souligne une source élyséenne, assurant que ces questions seront évoquées lors de l'entretien prévu mercredi avec le président François Hollande. Mais la politique intérieure de l'Egypte, engagée dans l'éradication de la confrérie des Frères musulmans classée "organisation terroriste", ne constituera pas le cœur des discussions, dominées par la sécurité régionale et les questions économiques. La poudrière libyenne et les menaces qu'elle fait peser sur toute la région figure en tête des préoccupations communes des deux pays. Avec des différences d'appréciation cependant sur la façon de sortir de la crise. "Les Egyptiens considèrent - à juste titre - que nous avons une responsabilité particulière. Ils ont le sentiment de ne pas avoir été entendus en 2011 en alertant sur les dangers d'une intervention occidentale, ils espèrent être entendus aujourd'hui. Ils estiment qu'il faut réintervenir en Libye, mais nous avons des doutes sur le fait que cette crise peut être résolue uniquement par la force", explique une source gouvernementale française. L'Egypte, déjà en butte à ses propres groupes jihadistes dans le nord du Sinaï, partage plus de 1.000 km de frontière avec la Libye, et est directement menacée par le chaos dans lequel a plongé ce pays depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2012. Face aux groupes et milices islamistes en Libye, Le Caire soutient le Parlement élu de Tobrouk, "de façon robuste", selon la formule d'un diplomate. L'Egypte a même été accusée, notamment par les Etats-Unis, d'avoir lancé en août des raids aériens dans le secteur de l'aéroport de Tripoli, avec les Emirats arabes unis. Sans confirmer cette implication directe (démentie par l'Egypte), Paris, qui reconnaît "un enjeu sécuritaire immédiat" en Libye, met cependant en garde contre des "initiatives extérieures" susceptibles de "compliquer encore la donne". "On a besoin de se mettre d'accord sur la Libye, où l'on ne peut pas se passer d'une solution politique", souligne la source élyséenne. Corvettes, Mirages et métro Les sujets économiques constitueront un autre grand volet des discussions, alors que le Caire veut organiser au premier trimestre 2015 une conférence économique internationale pour relancer son économie exsangue. La délégation égyptienne doit rencontrer jeudi les représentants des patrons français. Mais c'est dans le huis clos des entretiens entre le président Sissi et ses interlocuteurs français que seront discutés les grands dossiers en cours. Le constructeur naval français DCNS a signé au début de l'été un contrat estimé à 1 milliard d'euros pour fournir quatre corvettes Gowind à la Marine égyptienne. "Ce projet ouvre des portes car il suscite énormément d'intérêt chez les pays du Golfe", se félicite la source gouvernementale française, ajoutant qu'une option sur deux navires supplémentaires devrait être abordée lors des entretiens. Des discussions sont également en cours sur le renouvellement de la flotte égyptienne d'avions de combat Mirage 2000, précise-t-on. A l'issue d'un déjeuner entre MM. Hollande et Sissi, des accords pour le métro du Caire et avec l'Agence française de développement seront signés. Dans un communiqué publié mardi, Amnesty International a demandé à la France de suspendre tous les transferts d'armes en cours en raison de la situation "alarmante" des droits de l'Homme en Egypte. Reporters sans frontières a également demandé mercredi à François Hollande d'évoquer avec son homologue égyptien "la terrible répression contre les journalistes sous la bannière de la lutte contre le terrorisme".