Dans une interview publiée dans le quotidien espagnol El Mundo dans son édition d'hier, Madani Mezrag, ex-chef de l'AIS, ne désespère pas de voir l'ex-FIS réhabilité sur la scène politique nationale. Dans des propos équivoques, il tente de se disculper, tout en cherchant à se replacer dans l'action politique. L'envoyée spéciale du journal espagnol, Rosa Meneses, qui se trouvait à Alger pour la couverture des élections présidentielles, a profité de son séjour pour interviewer l'ex-émir national du bras armé du Front islamique du salut qui ne lui a pas caché son projet de former un parti politique, bien qu'il soit interdit de toute activité politique, en raison de son implication dans la tragédie nationale. «Le premier émir national de l'Armée islamique du salut qui a pu bénéficier de l'amnistie et travaillé pour la réconciliation nationale se dit aujourd'hui déçu», écrit la journaliste qui rappelle que «l'AIS et les GIA sont responsables de la mort de dizaines de milliers d'Algériens durant la décennie 1990». El Mundo ajoute : «Quand Abdelaziz Bouteflika est arrivé à la présidence en 1999, Mezrag a adopté sa politique de réconciliation nationale et l'a appuyée. En janvier 2000, Mezrag a émis un communiqué de dissolution. Quelque 6000 miliciens ont bénéficié de l'amnistie de Bouteflika et le mouvement terroriste a été démantelé, ce qui lui a valu le nom méprisant de boy-scout de la part du sanguinaire GIA dont les émirs ont fini eux aussi par déposer les armes.» C'est chez lui à Baraki que Mezrag a reçu l'équipe d'El Mundo. Mezrag attendait la journaliste et son photographe sur le seuil de la porte de son humble demeure, vêtu d'une djellaba marron et portant une toque russe. «Il n'a pas la tête d'un repenti mais d'un leader islamiste actif. Il rêve de créer son propre parti sur les braises du FIS. Une fois à l'intérieur, il nous invite aimablement à prendre un thé», écrit la journaliste. «Pourquoi donc n'y a-t-il en Algérie aucune alternative d'opposition à Bouteflika ?», lui demande la journaliste. Selon Madani Mezrag, «l'opposition existe, mais elle est mal organisée. Il y a le FFS, le RCD, les communistes, les islamistes. Cette opposition n'a pas de projet clair et chaque parti travaille à son compte, ils ne savent pas travailler ensemble. L'opposition n'a pas beaucoup de militants ni de moyens. Elle est inactive durant toute l'année mais apparaît seulement pour les élections. C'est une opposition opportuniste et très faible».A une question sur son statut politique, l'ex-émir de l'AIS estime que «juridiquement parlant, nous avons le droit de faire de la politique, mais en réalité, l'administration est contre le retour de notre parti. Ils ont peur de nous laisser participer parce qu'ils savent parfaitement bien que si la scène politique s'ouvre à notre mouvement, nous leur ferons une concurrence atroce dans le sens strictement politique. Par son comportement irresponsable, l'administration fait du tort à l'Algérie. Ce comportement empêche le progrès de l'Algérie vers la paix. Tous les problèmes actuels s'expliquent par cette interdiction. L'Islam politique doit avoir sa place dans ce pays, dans le gouvernement et au niveau des institutions de l'Etat.» Interrogé sur le projet de réconciliation nationale du président Bouteflika, Madani Mezrag considère que c'est un projet stratégique qui avait déjà été mis sur la table. Bouteflika a eu le courage de donner une couverture politique et juridique à cette initiative et je m'en félicite. «Comment voyez-vous la véritable stratégie pour parvenir à la concorde civile en Algérie ?», interroge l'envoyée spéciale. «C'est très simple, dit-il. La trêve entre l'AIS et l'Etat en 1997 a été suivie en 2000 d'une amnistie générale qui devait mettre fin au dossier de la crise. L'AIS a bénéficié d'une amnistie générale spéciale. Mais la charte de la réconciliation n'a pu résoudre les problèmes sociaux ni juridiques. Les revendications politiques historiques non plus. Après 10 ans de politique de réconciliation, celle-ci n'est toujours pas achevée. C'est inadmissible (il hausse le ton) de condamner tout un mouvement, avec ses cadres – plus de quatre millions de militants à l'époque – et leurs sympathisants. Il faut réintégrer tout le monde. Après, la douleur sera oubliée. Ce n'est pas difficile, nous pouvons le faire, malheureusement la volonté n'y est pas.» La journaliste lui demanda sur quels principes politiques il voulait que soit créé un parti politique. «Créer maintenant un parti politique serait lancer un défi au pouvoir qui nous interdit de faire de la politique et de nous exprimer. C'est nécessaire et nous le ferons, mais sur quels principes et avec quels moyens ? Si le FIS avait maintenant la possibilité de revenir sur la scène politique, ce serait un parti islamiste, nationaliste et démocratique. Mais nous croyons que la démocratie est un bon moyen pour nous. L'Etat algérien n'est pas notre ennemi.» En conclusion, la journaliste lui demande s'il éprouve des regrets du passé. Ce à quoi il répond : «Je ne crois pas avoir à regretter quoi que ce soit, parce que je n'ai pas choisi mon destin. J'ai été obligé de faire des choses que je ne voulais pas faire. Je suis une victime. Mais si vous me demandez si je ressens de la douleur, oui, je ressens beaucoup de douleur quand je vois les orphelins. Je ressens de la douleur comme tous les Algériens. Nous avons eu l'occasion d'y remédier dans les années 1990. Je revois ces images avec douleur. Nous aurions pu éviter tout cela.»