Les pionniers de la peinture algérienne se sont surtout attachés aux thèmes inspirés du patrimoine national, même si cette manière de faire est avant tout de source atavique, elle porte également le symbole de la culture algérienne et c'était la guerre d'Algérie. On retrouve alors une diversité de tons, de formes, de styles et de thèmes. Les oeuvres de Benaboura donnenet l'ambiance que dégageait Alger durant les années 1950. Hacène Benaboura, né à Belouizdad, était un descendant des princes turcs Aboura, qui vécurent à Alger 150 ans avant la conquête, et des frères corsaires Barberousse. Après une courte scolarité, Hacène entra à la manufacture d'allumettes du Hamma. Ses promenades dominicales au jardin d'essais lui firent découvrir les peintres Noiré et Ortéga qui, à cette époque, y dressaient régulièrement leurs chevalets. Benaboura, qui très jeune dessinait déjà, se mit à les imiter et multiplia ses toiles. De longues années passèrent et ce n'est qu'après le débarquement anglo-américain de novembre 1942 que Hacène fut sorti de l'obscurité. L'épouse du sénateur Paul Cuttoli sut l'encourager et organisa en 1944 une exposition. Benaboura affectionnait les scènes de rue mais aussi le port d'Alger En 1946, René Famin présenta Galerie du minaret, la 1e exposition consacrée au «fils d'Alger», une des signatures de Benaboura. Celui-ci révélait au grand public une totale authenticité qu'aucun enseignement n'était venu altérer. Insouciant de la technique, Benaboura peignait un univers sans angoisse et pouvait se permettre les plus étonnantes audaces. Certaines de ses œuvres étaient de véritables chefs-d'œuvre de poésie et de délicatesse. Paysagiste au graphisme fin et ravissant, Benaboura affectionnait les scènes de rue mais aussi le port d'Alger qu'il ne cessa jamais de reproduire sous différents points de vue. Ses compositions, parfois inégales mais avec de nombreuses et brillantes réussites, devinrent très recherchées par les amateurs et les collectionneurs. La naïveté enfantine, géniale du Douanier Rousseau musulman, le talent d'Utrillo spontané d'Alger étaient enfin reconnus. Dans ses gouaches, autour du rose indien, du bleu turquois, des émeraudes et violets profonds, un trait épuré, en marge de toute géométrie figée, vient cerner sans hésitation ni repentir les silhouettes et les coiffes de Hautes dames, les figures de la Mère énigmatique, les motifs qui recouvrent leurs robes, ceintures et foulards. Dans des compositions qui ne cessent de jouer sur de fausses symétries, l'image se referme rigoureusement, à travers l'équilibre des espaces et des tons, le dialogue sans fin des arabesques, sur un espace autonome, résolument irréalisé. Baya, quant à elle, construit un univers clos, exclusivement féminin, tout à la fois reclus et souverain. Le poète André Breton disait d'elle : «Baya est la sœur de Schéhérazade.» Schéhérazade, la tisserande des mots qui éloignent la mort. Schéhérazade, cette autre femme qui fabule pour compenser sa réclusion. Nous voici donc dans le conte, avec ses Univers merveilleux (titre d'une œuvre de 1968). Baya abroge les formes, les classifications et les dimensions : l'oiseau s'étire et devient serpent, arbres et huttes poussent de travers, les vases se ramifient, deviennent arborescents comme des queues ou des huppes d'oiseaux. Dans cette sorte de village des origines, où cases, arbres et oiseaux sont emmêlés, les paysages et objets baignent dans l'informulé et la liberté du monde placentaire. Aucun centre de gravité n'est admis. Tout l'effort de l'artiste est tendu vers la recherche d'une sorte d'harmonie prénatale que la découverte du monde normé, balisé, anguleux nous a fait perdre. Baya est née le 12 décembre 1931 à Bordj El Kiffan (Fort-de-l'Eau), aux environs d'Alger. On s'extasie sur la spontanéité primitive de cet art Orpheline de ses deux parents, elle est recueillie par sa grand-mère qu'elle aide dans son travail dans une ferme de colons (horticulture). En 1943 Marguerite Caminat, sœur de la propriétaire, la prend chez elle à Alger pour rendre des services ménagers dans une maison dont l'éblouissent les fleurs et les oiseaux. Baya commence alors à modeler des personnages ou des animaux fantastiques en argile et elle est encouragée à réaliser des gouaches que le sculpteur Jean Peyrissac montre à Aimé Maeght, de passage à Alger. Une exposition, dont André Breton préface le catalogue, est en 1947 organisée à Paris par Maeght dans sa galerie. Elle connaît un vif succès. «On s'extasie sur la spontanéité primitive de cet art, on découvre avec un émerveillement non exempt de paternalisme, l'expression naïve à l'état brut, vierge, sauvage enfin», analysera Mohammed Khadda. Le magazine Vogue publie la photo de Baya, qui n'a alors que seize ans, avec un article d'Edmonde Charles-Roux. Baya découvre Paris, rencontre Braque. L'année suivante elle réalise à Vallauris des sculptures en céramique à l'atelier Madoura et côtoie Picasso. Remise à son tuteur, Baya se trouve en 1953 mariée traditionnellement, comme seconde épouse, au musicien «arabo-andalou» El Hadj Mahfoudh Mahieddine, d'une trentaine d'années plus âgé qu'elle. «Passé le bal irréel de Cendrillon», comme l'écrit François Pouillon, Baya demeure durant dix ans dans l'impossibilité de poursuivre son travail. En 1963 le Musée d'Alger acquiert et expose ses œuvres anciennes. Sur l'amicale incitation de Mireille et Jean de Maisonseul, conservateur du Musée, elle reprend ses pinceaux et ne cessera plus de réaliser sur papier de grandes œuvres qui seront par la suite régulièrement exposées en Algérie (Alger, Tizi Ouzou, Annaba), en France (Paris et Marseille), en Belgique (Bruxelles) et dans le monde arabe. Elle est placée, avec Aksouh, Benanteur, Guermaz, Issiakhem, Khadda ou Mesli, parmi les artistes de la «génération de 1930» Plusieurs d'entre elles sont conservées dans la collection d'art brut de Lausanne. Baya meurt le 9 novembre 1998 à Blida. Elle est placée, avec Aksouh, Benanteur, Guermaz, Issiakhem, Khadda ou Mesli, parmi les artistes de la «génération de 1930» (tous ces peintres étant nés autour de cette année) qui, après les précurseurs des années 1920, ont été les fondateurs de l'art algérien moderne Quant à l'artiste Mohamed Temmam, né le 23 février 1915 à la Casbah d'Alger, il est considéré comme l'un des artistes plasticiens les plus marquants d'Algérie ainsi que l'un des très rares à avoir maîtrisé aussi bien les modes d'expression traditionnels, notamment la miniature et l'enluminure, que la peinture de chevalet qu'il pratiquait en tant que portraitiste ou paysagiste. Il fut également un bon violoniste rattaché à l'école classique andalouse qu'il avait connue très jeune auprès de grands maîtres algérois et de formations prestigieuses comme El Moutribia et El Moussilia.