Alors que la salle du centre de presse est pleine de monde, l'invité n'arrivera que vers la fin du forum. Entre-temps, des chuchotements donnent lieu à des interprétations des plus pessimistes. Il faut dire que Amar Laskri est malade depuis des années, mais on continue à le voir quelquefois dans des manifestations culturelles. Son état de santé s'est en fait détérioré, comme l'ont confirmé des artistes proches de lui. Ce sont d'ailleurs eux qui ont animé le forum par leurs témoignages sur le réalisateur talentueux mais aussi sur les qualités humaines exceptionnelles de l'homme. Les seuls mots audibles de sa courte intervention se résument ainsi : «Je n'ai pas rejoint le maquis à quinze ans pour accepter le laxisme dans la gestion de mon pays.» Illustration d'abord par un documentaire réalisé par l'association Lumières «dont il est le président» où des cinéastes et des comédiens louent les valeurs de celui qu'on surnomme le réalisateur engagé, puisque toutes ses œuvres ont pour thème le colonialisme et ses effets dévastateurs sur le peuple algérien. Il a tout fait pour rénover le cinéma algérien. De Patrouille à l'Est, il frappe Aux portes du silence en passant par L'enfer à dix ans ou El Moufid, (l'essentiel). Rabah Laradji, réalisateur entre autres de Un toit, une famille, dira que «Amar Laskri est l'un des meilleurs dans la direction des acteurs et qu'il restera exceptionnel dans le traitement des films à thème révolutionnaire. On peut à cet effet prendre n'importe quelle scène de Patrouille à l'Est pour illustrer un documentaire sur la guerre d'Algérie et elle passera pour un document authentique tant cette scène se rapproche de la réalité». Pour le conférencier, ce film constitue une référence et non La Bataille d'Alger, car ce dernier a pour base quelques héros à l'image d'Ali la Pointe, Yacef Saâdi ou Hassiba Ben Bouali, alors que le premier place le peuple entier comme héros durant la guerre de Libération. Bahia Rachedi, bien que n'ayant pas eu l'occasion d'être dirigée par Laskri, parle d'un réalisateur qui a beaucoup contribué à faire connaître, à travers ses œuvres, l'Algérie au plan international. «J'ai eu l'occasion de le connaître, dira-t-elle, lors de nos représentations à l'étranger, c'est une véritable encyclopédie. Je regrette que certains de ses films, sur une dizaine qu'il a réalisée, ne soient pas assez diffusés au public». Hassène Benzerari, que tout le monde connaît désormais sous le pseudonyme de Hassan Beach, a eu «la grande chance de le connaître au début de sa carrière puisqu'il est le héros de Patrouille à l'Est où il interprète le rôle de «Si Mahmoud» qui n'est autre que l'oncle de Amar Laskri. Avec un cœur serré, Hassène a confié que lui et quelques artistes sont en train de préparer le transfert du réalisateur vers l'hôpital de Villejuif en France. «Nous avons pris attache avec le ministère de la Culture sur ce point et nous attendons les formalités d'usage pour l'accompagner dans cet établissement spécialisé. Amar Laskri souffre d'un problème au niveau du larynx lié à une déficience des glandes salivaires. Le comédien notera la bravoure du réalisateur qu'il a côtoyé durant plusieurs mois lors du tournage du film en question et soulignera sa «rejla» au sens le plus noble du terme. «C'est d'ailleurs pour cela mais aussi pour ses autres qualités que j'ai rejoint l'association Lumières où Amar a pu récupérer plusieurs matériels de l'ancien CAIC», confie Benzerari. Né en 1942 à Aïn Berda (Annaba), en pleine Guerre mondiale, Amar Laskri a rejoint le maquis en 1957 alors qu'il n'avait que quinze ans. Il s'est fait remarquer au lycée Saint Augustin au lendemain de l'Indépendance. Il est envoyé en ex-Yougoslavie étudier dans l'un des plus prestigieux instituts du cinéma. Il rentre en Algérie en 1969 où il entame sa carrière illustrée essentiellement sur des films sur la guerre de Libération, ce qui fera dire à Rabah Laradji que Laskri a vécu ses sujets avant de les porter à l'écran. L'hommage rendu par Machaâl Echahid au réalisateur a permis de revenir sur un point, celui des salles de cinéma, une espèce en voie de disparition. Sur 422 salles recensées dans la capitale en 1962, il n'en reste aujourd'hui qu'une dizaine. Même celles qui ont été réhabilitées ne sont pas opérationnelles, à l'exemple de la salle Afrique, pendant que d'autres ont carrément disparu et été remplacées par des boutiques de prêt-à-porter quand ce n'est pas des fast-foods. Les ministres qui se sont succédé au niveau du secteur n'ont absolument rien fait pour la promotion des salles «obscures». A l'image de leur politique.