Difficile de ne pas les remarquer. Normal pour des hommes dont l'essentiel de l'effort est précisément destiné à se faire remarquer. Les vendeurs de thé à Alger sont d'abord des vendeurs de look. Ne pas réussir le deuxième, c'est déjà l'échec commercial assuré. On ne sait pas avec précision quelles sont ses profondeurs historiques et sociologiques, mais on a tellement entendu dire que le thé «chez ces gens-là» est une culture qu'on a fini par l'intégrer. Après tout, ce n'est pas si important, même si, dans les faits, la tradition et le savoir-faire en la matière trouvent plus d'explication dans ses aspects utilitaires que dans quelque considération esthétique. Qu'à cela ne tienne, le thé vert consommé tous les jours ou servi à l'invité dans un rituel immuable est tellement convivial, accompagne des moments de communion tellement généreux que nul n'est besoin d'aller lui trouver des origines savantes. Et ce qui ne gâte rien, il est si bon, le thé de nos compatriotes du Sud… Si bon et si évocateur qu'il a inspiré des vocations qui nous en proposent un ersatz, pas toujours ragoûtant, dans les rues d'Alger et sur les plages. Grosses théières cuivrées et gobelets en plastique portés à même le bras, tenue et teint du parfait targui, tradition réduite à ses plus simples apparats, ils sillonnent quelques espaces ciblés pour un gagne-pain de fortune qui ne doit sûrement pas être inspiré par la prospérité. On ne sait pas d'où ils viennent, mais on sait d'où ils ne viennent pas. Et on devine ce qu'ils veulent. Ce n'est quand même pas «la richesse qui les a amenés» pour reprendre l'expression populaire. Lâchés dans la nature, ils proposent un thé dont la petite touche exotique, si elle ne convainc pas grand-monde, trouve quand même preneur chez quelques âmes curieuses ou compatissantes. Souvent tiède et d'un goût approximatif, le «thé du Sud» sur la rue Didouche ou les pieds dans l'eau a quand même quelque saveur conférée d'abord par l'effort d'y avoir pensé. Avoir réfléchi à vendre autre chose, avec un brin d'originalité et un habillage même grossier du produit est toujours méritoire, dans un monde bouffé par la facilité. Bien sûr, beaucoup de ces jeunes, qu'ils soient de petits Algérois futés et roublards ou d'authentiques «Sudistes» poussés par la nécessité, doivent mériter mieux comme destinée, et proposer du thé à la criée ne doit pas faire rêver beaucoup de monde. Mais en attendant d'avoir ce qu'ils aiment, ils font au moins semblant d'aimer ce qu'ils ont, et font l'effort de nous le faire aimer. Allez, un thé, même tiède et manquant de saveur, ça ne vous tue pas un homme. Ramadhan ou non, tout se vend parce que tout s'achète. Et un ersatz de thé du Sud, ça ne fait pas de mal, c'est même sympathique. Slimane Laouari