C'est bientôt l'Aïd, c'est bientôt les vacances. Un bonheur ne vient jamais seul. Enfin, quand il y a un bonheur qui vient. Sinon on va encore faire semblant qu'on est heureux d'aller se reposer. Et faire semblant pour faire semblant, autant avoir la simulation ambitieuse. Se reposer et se détendre. Pour «se détendre» et «recharger les batteries». Ce ne sont que des mots mais personne ne reprochera à personne de mentir aux autres quand on se ment d'abord à soi-même. Et quand tout le monde ment, ça simplifie les choses. On ne «gaspille» pas son mois de congé annuel pendant le Ramadhan, c'est connu. On ne peut rien faire le ventre creux et le pays fermé. Alors on continue à ne rien faire, en attendant d'aller faire semblant tranquillement comme tout le monde. Pendant le Ramadhan, on «travaille», c'est-à-dire qu'on se repose sans prendre son congé. Depuis que le Ramadhan s'est installé en été pour un séjour de longue durée, il n'y a plus ni juillettistes ni aoûtiens. Sauf coïncidence de calendrier. Les hasards de l'astre lunaire ne se répètent pas et le calendrier grégorien meurt provisoirement au terme de la nuit du doute. Le 18, c'était le premier. Plus rien ne pouvait compter depuis, jusqu'au prochain 18. Il n'est pas loin. On récupérera le calendrier et on perdra la lune. Pas grave, on ne l'a jamais décrochée. On ne décroche pas la lune en comptant les étoiles, paraît-il. C'est nul et ringard comme poésie, on sait. Mais personne ne demande de la poésie à quelqu'un qui a mauvaise haleine. Déjà qu'on ne peut pas lui demander de se brosser les dents… Plus qu'une dizaine de jours et c'est reparti. Reparti pour quoi, pour être si pressé et si enthousiaste ? C'est reparti pour rien du tout mais il faut bien inventer des raisons de se frotter les mains. Enfin se frotter les mains quand on en a la force. Tout frottement génère de la chaleur, ce sont les lois de la physique qui le disent. Mais la chaleur, ce n'est pas ce qui manque. Alors au lieu de se frotter les mains, on fronce les sourcils en tentant douloureusement de sourire. Et ça donne un sous-rire. Le résultat n'est pas important, quand on fait semblant de faire quelque chose. Tout le monde a compris, puisque tout le monde est sourd, tout le monde est muet. Sauf quand on profère des insultes, quand on les entend, quand on demande du matlouâ et quand crie le muezzin. Le reste du temps, on achète, on bouffe ou on est mort. C'est bientôt les vacances, à moins que ce ne soit l'Aïd. Il paraît que la Tunisie, c'est donné, mais il faut traverser Annaba et ça coûte cher. Alors on va se reposer. On le mérite bien, après un mois éprouvant de repos. On va se reposer de la viande et des pruneaux. Il fait encore chaud et lourd pour attaquer la loubia. Alors on va attaquer les femmes en maillot sur les plages et demander que les bars fermés pendant le Ramadhan restent fermés pour de bon. C'est facile et civique d'aider la police. Et maintenant la Protection civile, depuis qu'elle a entrepris d'arrêter les «casseurs de Ramadhan à Béjaïa». Les pompiers bénévoles, ça existe dans les pays développés. Sommes-nous un pays développé ? Ne souriez pas, vous n'êtes pas filmés. La télé est occupée à faire des caméras cachées. Slimane Laouari