L'Aïd, c'est demain ou après-demain. Pour la fête, il faudra sûrement repasser on ne sait quand. Afin de ne pas jouer aux rabat-joie quand la joie est si rare, ce n'est quand même pas compliqué de faire semblant d'être aux anges pour faire comme tout le monde. On ne va quand même pas faire la fine bouche sur la fin de Ramadhan. ça, c'est réel, on va bien bouffer demain ou après-demain dès le petit matin, après avoir bouffé le soir, un peu plus tard, à minuit et aux aurores. C'est toujours un plaisir de sortir du boulot pour aller se prendre un morceau, et rien que le fait d'y penser, c'est déjà enthousiasmant. Vous vous rendez compte, rebouffer au bureau après en avoir été privé un mois durant ! On n'a pas bossé non plus, mais on a quand même fait semblant. C'est stressant et terriblement éreintant de faire semblant de travailler le ventre vide. Demain, à moins que ce ne soit après-demain, ça va être la fête. Ils n'ont pas jeûné, mais ce sera la fête des enfants, nous dit-on. C'est tout de même bizarre de coller l'Aïd aux bambins, alors que la ferveur spirituelle virtuelle, les bagarres réelles la spéculation en temps réel et la boulimie mortelle ne les concerne pas. Ils ont bon dos, les enfants. Après avoir été souvent tenus à l'écart quand sonnait l'heure des grandes ripailles, subi les foudres de parents fulminant pour un oui ou pour un non, les voilà qui vont devenir au centre de toutes les préoccupations. En plus des habits neufs, toujours acquis quelle que soit la condition de papa et maman, ils sont associés à toutes les folies festives. Les gâteaux, c'est bien sûr pour eux. Connaissez-vous beaucoup de femmes et d'hommes qui vont dire normalement, sans rougir au moment des grandes bousculades pour les amandes ou le sucre glace, qu'ils «font ça» pour les adultes ? Non. C'est vrai qu'ils doivent être les seuls que l'Aïd amuse encore. Parce que contrairement aux adultes un rien leur suffit à faire la fête. Les enfants ne sont pas dupes. Ils savent qu'ils sont le beau prétexte et ils tiennent à se faire payer le service. Un jouet, un petit ensemble, même de friperie, et les voilà partis savourer un bonheur simple mais bruyant, laissant les grands à des agapes dont ils sont maladivement avides sans jamais l'avouer. Demain, à moins que ce ne soit après-demain, c'est l'Aïd. Les adultes vont s'empiffrer, les enfants vont s'éclater, ce que les uns et les autres ont toujours fait. Pendant le Ramadhan, un peu plus. La fête, c'est tout de même autre chose.