La visite, vendredi dernier à Madrid, de M. Abdallah Benkirane, a permis de confirmer que la question du Sahara occidental n´est plus une priorité pour la diplomatie espagnole. L´attention de l´Espagne, pays qui siège au Conseil de sécurité comme membre permanent jusqu´à fin 2016, reste entièrement captée par les problèmes qui la touchent ou la menacent directement : les flux migratoires en provenance du Maroc, la présence sur son territoire de réseaux dormants de soutien à Daech devenus très actifs avec la guerre d´Irak et de Syrie et le silence qu´elle cherche à monnayer sur Ceuta et Melilla avec son voisin du sud qui est, également, son premier client et partenaire hors Union européenne. Ces intérêts ont un prix pour l´Espagne, celui de l´impasse sur son ancienne colonie qu´elle avait cédée, en 1975, au Maroc. Les intérêts des Etats priment sur les principes A la lecture du communiqué commun publié au terme des travaux de la XIe réunion de haut niveau hispano-marocaine, raison de la visite de M. Benkirane, il ressort clairement que les intérêts des Etats l'ont emporté sur «le principe de la dette morale, politique et historique» que tous les gouvernements espagnols, socialiste ou conservateur ont toujours proclamé pour ne pas s´aliéner l´hostilité d´une opinion publique unanimement favorable à la cause sahraouie. Dans ce document publié samedi, l´Espagne a «salué les efforts sérieux et crédibles du Maroc» dans la recherche d´une solution au conflit sahraoui. Ce sont ces propos que la France avait vendus à ses partenaires de l´Union européenne lorsqu´en 2010, le roi Mohamed VI avait avancé son plan d´autonomie sur le Sahara occidental. Le Représentant Personnel du SG de l´Onu pour le Sahara occidental, le diplomate américain Christopher Ross, n´a jamais apporté son soutien à cette initiative que Paris et Madrid ont désespérément voulu lui imposer comme unique base de négociations entre Rabat et le Front Polisario, ce qui lui a attiré les foudres du roi Mohamed VI. Bien sûr, le gouvernement Rajoy ne pouvait pas ignorer la position onusienne sur un territoire qu´elle a classé dans son fichier colonies comme non autonome. Dans le paragraphe par lequel «les deux parties se sont félicitées de l´adoption, le mois d´avril 2015, de la Résolution 2218 du Conseil de sécurité de l´Onu» ou quand est affirmée de manière volontairement ambiguë «la nécessité d'arriver à une solution politique consensuelle et mutuellement acceptable», sans dire expressément que les deux parties en conflit sont le Maroc et le Front Polisario. C´est là que l´Espagne laisse une marge d´interprétation à Rabat qui a toujours qualifié l´Algérie de «partie impliquée dans la négociation». Le communiqué commun insiste sur «une solution au contentieux (du Sahara occidental) de longue durée par le renforcement de la coopération entre les Etats membres de l´Union du Maghreb arabe, qui doit être impulsée comme option géopolitique inéluctable et qui permettra de contribuer à la stabilité et à la sécurité de la région». Le jeu de la diplomatie espagnole apparaît dans ce paragraphe qui suggère, en fait, un second cadre de négociation autre que celui des Nations unies, histoire, pour le Maroc, de court-circuiter la médiation onusienne. Le concept de la «realpolitik» Si le communiqué commun fait l´impasse sur le droit à l´autodétermination du peuple sahraoui, les gouvernements espagnols successifs sont passés maîtres dans l´art diplomatique de développer une position sur le Sahara occidental en fonction du partenaire qu´ils ont en face. S´agissant du Maroc, ils invitent à «la reprise des négociations sur des bases solides, conformément aux résolutions et aux paramètres clairement définis par le Conseil de sécurité de l´Onu», mais insistent sur «l´esprit de compromis et de réalisme», sans dire un mot du droit à l´autodétermination dans l´ancienne colonie espagnole, principe consacré par l´Onu. Dans le compte rendu sur les entretiens politiques entre le président Mariano Rajoy et le Premier ministre marocain, Abdallah Benkirane, on comprend vite que le Sahara occidental a cessé d´être une priorité pour l´Espagne. Les «excellentes relations bilatérales» entre les deux pays, leur convergence de vues sur l´immigration clandestine, Daech, la Libye, le Sahel, l´Accord d´association avancé avec l´Union européenne et tous les dossiers lourds ne laissent plus à la cause sahraouie de place dans l´ordre des priorités de la diplomatie espagnole. Rien non plus dans les entretiens Rajoy-Benkirane sur Ceuta et Melilla que le Maroc considère comme ses «villes occupées» par l´Espagne. Au cours de la conférence de presse conjointe qu´ils ont animée en fin de journée vendredi, les deux chefs de gouvernement ont été néanmoins forcés de parler des deux présides. Pour le Premier ministre marocain, «cette question est remise à plus tard». Visiblement, le président du gouvernement espagnol qui a toujours clamé haut et fort l´ «hispanité de Ceuta et Melilla qui font partie du territoire de l´Union européenne» n´a pas apprécié la réponse de son homologue. Le président du gouvernement espagnol n´évoquera à aucun moment le Sahara occidental et pas davantage le respect des droits de l´homme dans l´ancienne colonie espagnole. Pourtant, l´occasion lui était donnée de s´exprimer sur un cas de répression au Sahara occidental d´où vient d´être chassée une activiste - une de plus - de la ville d´Al Ayoune où elle était allée s´informer sur cette situation. Au moment où M. Benkirane mettait les pieds à Madrid, avec le privilège d´être reçu par le roi Felipe VI avant même la tenue de la RAN - les jeux étant faits - une femme sahraouie observait son vingtième jour de grève de la faim, soutenue par les ONG, pour exiger du Maroc qu´il lui remette le corps de son fils assassiné par la police marocaine.