Le 7 juin 1967, l'armée israélienne s'emparait de Jérusalem-Est. Cette conquête fut sanglante. Les lieux où, par centaines, les soldats jordaniens sont tombés, ont été nettoyés et leur mémoire a été oubliée. Les sionistes fêtent le 7 juin, niant plus que jamais l'histoire, la dignité et la mémoire du peuple palestinien. C'est ainsi qu'aura lieu le 7 juin 2015 à Montpellier la 39e journée de Jérusalem. Ces festivités négationnistes sont indignes. Dans son livre «Comment la terre d'Israël fut inventée», l'historien israélien Shlomo Sand, qui faisait son service militaire, décrit le messianisme dévoyé qui s'empare de l'armée et de la population israéliennes au moment de la conquête. L'annexion Par milliers, croyants ou pas, les Israéliens affluent au Mur des Lamentations, qui est le vestige du mur de soutènement (dit mur occidental) du deuxième temple détruit par Titus en 70 après Jésus-Christ. Pourtant, il semble bien que ce mur ait été construit très peu de temps auparavant, alors que la Judée avait déjà été totalement soumise par les Romains, ce qui rend peu compréhensible sa valeur symbolique. Dès la prise de Jérusalem-Est, la chanson «Yéroushalayim shel zahav» (Jérusalem d'or) de Naomi Shemer, devient un tube mondial. Le dernier couplet célèbre «la réunification» de Jérusalem. Très vite, la ville est annexée par un vote de la Knesset (le Parlement israélien) et Jérusalem devient par ce texte la «capitale indivisible» de l'Etat d'Israël (statut qui ne sera pas reconnu par la grande majorité des pays). La propagande présentera désormais Jérusalem comme le symbole exclusif du judaïsme. La partie annexée est 10 fois plus grande que la Jérusalem jordanienne : elle va de Ramallah à Bethléem et coupe en deux la Cisjordanie, rendant impossible tout «Etat palestinien» sur le reste des territoires occupés. Ce «grand Jérusalem» annonce déjà la colonisation. Du mythe à la réalité Les fondateurs du sionisme, dans leur majorité, n'étaient pas croyants. Mais ils ont utilisé la Bible comme un livre de conquête coloniale. Ils ont considéré que les faits décrits dans la Bible étaient des événements historiques qui justifiaient leur «retour» après un long exil. On sait aujourd'hui que cette théorie de l'exil et du retour est une fiction. En ce qui concerne Jérusalem, les faits décrits dans la Bible concernant le «royaume unifié» de David et Salomon sont tout à fait légendaires. L'archéologie est têtue : à l'époque présumée de ce royaume, Jérusalem était un village de l'âge de fer d'au plus quelques centaines d'habitants. Le grand temple, la reine de Saba, c'est une belle histoire, mais c'est une légende. S'il y a eu un roi David, c'était tout au plus un conducteur de troupeaux. Pourtant aujourd'hui, dans le quartier palestinien de Silwan, on détruit des maisons, on expulse par milliers les habitants, on arrête les résistants au nom du roi David. L'occupant a déclaré que ce grand roi avait vécu là. Alors on construit la maison du roi David, le parc du roi David, le musée du roi David et on «judaïse» ce quartier à coups de bulldozers et d'expéditions policières punitives. Pour essayer de «prouver» que les archéologues et les historiens ont tort de nier l'historicité du récit biblique, le gouvernement israélien multiplie les provocations en creusant des tunnels sous l'Esplanade des mosquées. Tout ce qui est découvert est très antérieur ou très postérieur à la période mythique. Jérusalem et les juifs Après l'écrasement de la dernière grande révolte juive (Bar-Kokhba, 135 après Jésus-Christ), la ville a été rasée et interdite aux Juifs. La population de la région s'est en majorité convertie au christianisme, puis, après la conquête arabe du VIIe siècle, en majorité à l'islam. Après la prise de la ville par les Arabes en 637 après Jésus-Christ, le calife Omar a autorisé les Juifs, jusque-là bannis par les Byzantins, à revenir à Jérusalem. Deux mosquées (al-Aqsa et le Dôme du Rocher) ont été construites sur la colline où se trouvait le temple détruit et la ville est devenue un lieu saint de l'islam. Le christianisme a fait de Jérusalem un symbole. Les pèlerinages chrétiens se sont multipliés et la «délivrance du Saint-Sépulcre» a servi de prétexte aux Croisades. Pour les Juifs, rien de semblable. Quasiment aucun pèlerinage. La religion juive est une religion messianique de l'exil. Pour les juifs orthodoxes (harédis), le retour à Jérusalem avant l'arrivée du Messie est interdit. «L'an prochain à Jérusalem», ça ne veut pas dire «ôte-toi de là que je m'y mette, je vais construire un Etat à Jérusalem», ça exprime simplement le souhait de l'arrivée prochaine du Messie. Après 1492, quand les Juifs chassés d'Espagne sont accueillis par l'empire ottoman, leurs principales destinations seront Salonique, Smyrne, Sarajevo. Certains s'installeront en Galilée (à Safed) mais pas à Jérusalem qui est une conquête récente ottomane. C'est vers 1800 que quelques juifs venus principalement de Pologne ou du Maroc s'installent à Jérusalem. Ils sont très religieux et se regroupent dans le quartier de Méa Sharim. La propagande sioniste essaie aujourd'hui de dire à coups de pseudo recensements que les juifs sont majoritaires à Jérusalem depuis 200 ans. Double invention. La mère de Leila Shahid, Sirine Husseini (décédée en 2008) décrit la municipalité de Jérusalem que dirigeait son père où musulmans, chrétiens et juifs cohabitaient en bonne intelligence au conseil municipal. Les juifs palestiniens n'étaient pas sionistes, ils craignaient que cette idéologie n'affecte les bons rapports qu'ils avaient avec les musulmans et les chrétiens. D'un nettoyage ethnique à l'autre Le plan de partage de 1947 avait prévu que Jérusalem serait internationalisé (au milieu de l'Etat palestinien) et serait la ville sainte des 3 grandes religions monothéistes. Depuis les années 30, il y avait un accord secret de partage de la Palestine entre les sionistes et la dynastie hachémite (le roi de Jordanie, lire à ce sujet «La guerre de 1948 en Palestine» d'Ilan Pappé). C'est parce que la future armée israélienne violait cet accord en attaquant un à un tous les villages palestiniens entre Tel-aviv et Jérusalem que la Légion arabe jordanienne est entrée en guerre. Le 9 avril 1948, les milices fascistes de l'Irgoun (dirigées par Menachem Begin) et du groupe Stern (dirigé par Yitzhak Shamir) ont massacré la population civile du village de Deir Yassin situé à 5 km du centre de Jérusalem. Le but était de provoquer l'exode de la population palestinienne. Quand la guerre a éclaté officiellement le 15 mai 1948, la quasi-totalité des Palestiniens habitant l'Etat donné par l'ONU aux juifs avait déjà été contrainte à l'exil. Deir Yassin fait partie des centaines de villages palestiniens rayés de la carte. C'est en face de là que les Israéliens ont construit le musée du génocide nazi Yad Vashem. Sur le territoire de Deir Yassin, il y a aujourd'hui le «nouveau quartier» de Givat Shaul. Le tunnel routier qui passe en dessous s'appelle Menachem Begin (du nom de l'assassin). Et les victimes de l'attentat antisémite de la Porte de Vincennes ont été enterrées au cimetière de Givat Shaul. Quel symbole ! Pour avoir les mains libres à Jérusalem, les terroristes du groupe Stern assassinent le 17 septembre 1948 le représentant de l'ONU Bernadotte et son adjoint, le colonel Sérot. Les assassins parfaitement identifiés seront intégrés dans le premier gouvernement israélien d'union nationale. Jérusalem-Ouest, agrandi avec les «nouveaux quartiers», est vidée de toute présence palestinienne. De nouveaux immigrants s'y installent. Au moment de l'armistice de 1949, la partie est de Jérusalem échappe aux Israéliens. Elle contient la vieille ville et quelques quartiers autour. Jérusalem-Est est annexée par la Jordanie. Il n'y a qu'un seul point de passage (surtout pour les pèlerins) entre les deux parties de la ville, c'est la porte Mandelbaum. Et pour accéder à Jérusalem-Ouest, malgré les nombreux villages rasés, les Israéliens doivent contourner l'enclave de Latrun restée jordanienne. En 1949, Ben Gourion avait été accusé par la «droite sioniste» de ne pas avoir conquis toute la Palestine mandataire. Il s'était justifié en expliquant que ce n'était que partie remise. En juin 1967, les sionistes sont maîtres de toute la Palestine. Environ 250 000 Palestinien-(ne)s sont expulsé(e)s, s'ajoutant aux millions de réfugié(e)s. Et à Jérusalem-Est, le nettoyage commence. Effacer la présence et la mémoire palestiniennes Dès la conquête, la vieille ville est séparée en quatre «quartiers» : chrétien, arménien, musulman et juif. Dans le quartier juif, toute la population palestinienne est expulsée. Elle est remplacée par des riches venus d'Israël ou des Etats-Unis. On trouve dans ce quartier juif qui jouxte le Mur des Lamentations un musée sur les gens expulsés en 1948 et leur martyre. Il ne s'agit pas des 800 000 Palestinien(ne)s chassé(e)s au moment de la Nakba, mais des quelques centaines de juifs qui vivaient dans la partie de la Palestine qui a été jordanienne entre 1948 et 1967. La manipulation de la mémoire est en marche. Très vite, les Israéliens vont réquisitionner des terres qu'ils affirment «vacantes» pour construire des «nouveaux quartiers». Ils ont pour nom Ramot, Atarot, Gilo, Pisgat Zeev et, plus loin du centre, Gush Etzion et Maale Adoumim. Har Homa était une splendide forêt entre Bethléem et Jérusalem. Elle a mystérieusement brûlé le premier jour des discussions entre Yasser Arafat et Ehud Barak. C'est aujourd'hui une colonie en pleine extension, prévue pour 30 000 habitants et qui sépare totalement Bethléem de Jérusalem. La judaïsation de Jérusalem-Est recevra une aide extérieure : ce sont des capitalistes français (Alstom et Véolia) qui construiront le tramway reliant Pisgat Zeev au centre-ville. Ce sont les chrétiens sionistes américains (d'authentiques antisémites) qui financeront la construction de Maale Adoumim. Cette luxueuse colonie de 40 000 habitants domine le désert de Judée, coupe en deux la Cisjordanie en rendant impossible tout Etat palestinien viable et pille l'eau de la région. Elle servira aussi de prétexte à l'expulsion des Bédouins qui ont toujours vécu le long de la route qui descend à Jéricho et à la confiscation de leurs terres. Avec les accords d'Oslo, la «Maison d'Orient» dirigée par Fayçal Husseini (décédé en 2001) était censée défendre les droits des Palestiniens de Jérusalem. Ceux-ci ont «bénéficié» d'un statut à part après 1967 : ni citoyens, ni étrangers mais «résidents». Ils bénéficient de la plaque orange sur les voitures qui leur permet de se déplacer plus facilement. Ils disposent du droit de vote aux élections municipales (ils ne s'en servent pas car ils ne reconnaissent pas l'annexion) mais pas aux élections nationales. Tout est fait (notamment le prix des loyers et l'impossibilité pour eux de construire des logements) pour les pousser à quitter Jérusalem et donc à perdre leur statut de résident. Ariel Sharon avait compris l'enjeu que représente Jérusalem. Il avait acquis une maison en plein «quartier musulman» de la vieille ville avec plein de drapeaux israéliens et la présence pesante de nombreux soldats. C'est à Jérusalem, sur l'Esplanade des mosquées le 28 septembre 2000, qu'il a fait la provocation qui a déclenché la deuxième Intifada et l'a mené au pouvoir. En 2001, la Maison d'Orient a été fermée. Dans toutes les négociations (qui étaient en fait des demandes de capitulation) entre Israéliens et Palestiniens, les premiers sont restés «inflexibles». Même les travaillistes ont signifié que tous les «nouveaux quartiers» resteraient israéliens et ils ont proposé qu'Abu Dis (petite ville palestinienne incluse dans le grand Jérusalem et séparée de la ville par le tracé du mur) devienne la capitale de l'Etat palestinien. Ville de résistance Aujourd'hui, il y a un peu moins de 300 000 habitants à Jérusalem-Ouest et un peu plus de 500 000 à l'Est. Les Palestinien(ne)s sont à peine majoritaires dans ce qui aurait dû être en théorie la capitale de leur Etat. Les attaques sont incessantes dans les quartiers palestiniens et on parle d'une troisième Intifada qui commencerait à Jérusalem. La tension est extrême dans tous les quartiers : - Silwan où, depuis 1991, des centaines de colons intégristes sont installés, provoquant la bunkerisation du quartier et une répression permanente contre la population. À plusieurs reprises des enfants ont été arrêtés. - Cheikh Jarrah, quartier envahi par des colons depuis 2000 et bien sûr la Cour suprême leur a donné raison. Dans ces deux quartiers, des comités de citadins organisent la résistance - La vieille ville. Depuis longtemps, une secte intégriste menace de dynamiter l'Esplanade des mosquées pour reconstruire le Temple. Jusque-là, ils ne pouvaient pas accéder à l'Esplanade. En les laissant parader et revendiquer le droit pour les Juifs de venir prier au mont du Temple, Nétanyahou les utilise pour provoquer des violences quand il le décide. - C'est dans le quartier palestinien de Chouafat qu'un jeune Palestinien de 16 ans, Mohamed Abou Khdeir, a été brûlé vif par des colons quelques jours avant le début de l'attaque contre Ghaza en juillet 2014. C'est à Jérusalem qu'une école mixte pour Juifs et Arabes a été incendiée et couverte de slogans racistes : «Mort aux Arabes, stop à l'assimilation». Alors non. Jérusalem n'est pas la «capitale indivisible» d'un Etat juif qui opprime les non-juifs. Cette ville appartient à tout le monde, croyants de toutes les religions ou non-croyants. C'est à Jérusalem que doit être imposée la seule solution raisonnable à cette guerre séculaire : l'égalité totale des droits et le vivre ensemble. P. S. ---------------- (*) Co-président de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP)