Après une période de vie faste, des années de cavale, des mois de détention, voilà que Rafik Abdelmoumène Khelifa fait face au juge qui l'a auditionné hier, au troisième jour du procès qu'abrite le tribunal criminel de Blida. 9h précises, le président du tribunal l'appelle à la barre. Antar Menouar, le président de l'audience, prévient d'entrée que l'audition de l'ex-boy sera longue. A travers ses réponses aux questions du juge, Rafik Khelifa a tenté d'apporter quelques explications sur la manière par laquelle il était parvenu à créer sa propre banque en remontant jusqu'à 1997, année où il a obtenu l'autorisation de la Banque centrale pour mettre en place son établissement financier qui a été doté, une année plus tard, d'un capital de 500 millions DA. Il expliquera aussi comment son groupe a pris de l'ampleur via le recours à la création d'autres sociétés, chacune dans son domaine. Toutefois, Abdelmoumène Khelifa a aussi tenté de se disculper de certains faits qui lui sont reprochés, et qui sont sévèrement punis par la loi en vigueur. L'ex-milliardaire a nié l'existence d'un trou financier dans la caisse principale de la Banque Khalifa. Selon l'arrêt de renvoi de la chambre d'accusation, il s'agit d'un trou de 3,2 milliards de dinars découvert en 2003 par la Banque d'Algérie. L'ex-magnat a aussi démenti que des personnes passaient récupérer au niveau des agences de la Banque Khalifa des sommes d'argent dans des sacs en plastique. Il nie également avoir falsifié deux actes d'hypothèque d'une villa à Hydra et d'un magasin à Chéraga en vue d'obtenir un prêt bancaire pour créer sa banque privée lorsque le juge l'interroge sur le chef d'accusation de falsification de deux actes d'hypothèque utilisés pour contracter un prêt auprès de l'agence BDL de Staouéli (ouest d'Alger). «Les deux actes ne portaient pas sa signature et que les descriptions de la villa et du magasin dans ces documents ne correspondaient pas à sa maison familiale et à sa pharmacie. Ces deux actes ne concernaient pas sa banque mais une autre entreprise», indique le prévenu en qualifiant d'«illogique» et d'«inconcevable» son accusation de falsification des deux documents. Il ajoutera qu'il n'avait pas besoin de recourir à un prêt pour la création de Banque Khalifa et que cette dernière était financée par les profits générés de la filiale française de sa société de fabrication de médicaments. Le président du tribunal est remonté, dans son audition, à la genèse de la création de ladite banque, à commencer par demander à son ex-propriétaire «les motivations ayant amené un pharmacien de formation à s'intéresser au domaine bancaire. Ce à quoi l'accusé a rétorqué par dire que c'est à la faveur de l'ouverture du secteur à l'investissement privé, début 1990, qu'il a pensé au lancement de sa banque, ajoutant avoir suivi des formations en France dans cette perspective. A la question de savoir si le montant du capital de lancement de la Banque Khalifa avait été réglementaire, Abdelmoumène Khelifa s'est défendu d'avoir signé un chèque de 125 millions DA, alors que le président du tribunal lui a signifié n'avoir la trace que de la somme de 85 millions DA. Interpellé sur les placements de fonds effectués par les clients auprès de la banque dissoute, quelques mois seulement après le lancement de celle-ci, l'accusé a expliqué cela par le taux «incitatif» qui y était pratiqué et qui était de l'ordre de 11% en 1998, avant qu'il n'oscille entre 7 et 13% par la suite. Les crédits étaient fixés, quant à eux, entre 8 et 10%. Le juge s'est alors interrogé comment la banque s'en sortait «sans risquer la faillite». Les droits de douanes payés par la banque au profit de leurs clients représentaient un des moyens de remboursement, a expliqué le prévenu. Le juge Menouar s'est, par ailleurs, enquis de savoir comment Abdelmoumène Khalifa a pu étendre le réseau de l'institution bancaire à travers le territoire national en un laps de temps aussi court. «La moitié des locaux des agences se trouvaient dans des places commerciales et étaient loués auprès des particuliers et des entreprises publiques, étant donné qu'on ne pouvait les acheter alors que nous avions pu acquérir le reste», a argumenté l'accusé qui a fait endosser la responsabilité du choix des recrutements du personnel de la banque à son ex-directeur général, Mohamed Nanouche. L'ex-milliardaire reconnaît des infractions juridiques D'autre part, le principal accusé dans le procès de l'affaire Banque Khalifa, Abdelmoumène Rafik Khelifa, a reconnu hier l'existence d'inffractions à la loi, à peine deux mois après la création de la banque, et ce, lors du changement de ses statuts. «Le 28 septembre 1998, Banque Khalifa a procédé au changement de ses statuts à la suite de la démission de son ex-PDG Kaci Ali, la Banque d'Algérie n'en avait pas été informée», a avoué Abdelmoumène Khelifa. Le juge a tenu par conséquent à attirer l'attention du prévenu sur l'infraction à la loi que l'inspection de la Banque d'Algérie, engagée du 22 mars 1999 jusqu'au 29 juin 1999 au niveau de la banque, n'avait pas manqué de révéler à ce sujet. «Cela faisait trois mois seulement que la banque a été créée», a tenu à souligner le juge, qui s'est interrogé si le prévenu a «régularisé» la situation de la banque après qu'il en ait pris la fonction de PDG, en remplacement de Kaci Ali. «Kaci Ali nous avait assuré avoir procédé au changement de sa signature. De plus, je recevais de la correspondance de la Banque d'Algérie en mon nom, ce qui, à mes yeux, signifiait que j'étais considéré comme étant en règle. En plus de cela, le gouverneur général de la Banque d'Algérie de l'époque, Mohamed Laksaci, avait considéré qu'il s'est agi d'une erreur de bonne foi, sans plus», a expliqué Abdelmoumène Khelifa. Le juge l'interroge par ailleurs sur sa villa achetée à Cannes (France). «C'était un bon investissement pour Khalifa Airways», répond alors l'accusé. Et au juge de répliquer en faisant comprendre que c'était plutôt l'achat des avions qui allait mieux servir la compagnie. L'accusé explique, en outre, qu'il a acheté sa villa à Cannes pour un montant de 30 millions d'euros. Par ailleurs à la question du juge qui voulait s'enquérir sur les raisons ayant amené l'ex-golden boy à quitter le territoire national, le concerné répond en expliquant l'existence d'une décision de la Banque d'Algérie de retirer l'agrément du commerce extérieur pour sa banque. «Je savais qu'ils allaient fermer la banque. Il y avait deux façons de combattre : la violence ou leur laisser tout. Si j'étais resté, il y aurait eu de la violence. Les gens auraient manifesté», a affirmé l'accusé.