En ce vendredi matin, lendemain de la victoire du CRB en finale de la Coupe d'Algérie, le quartier de Belouizdad vibre encore de la folle soirée qu'il vient de vivre. Bien qu'au paroxysme du bonheur, les habitants n'en oublient toutefois pas leurs problèmes qui font que «cette victoire soit aussi chère». Dans les rues, parées pour l'occasion de milliers de fanions, de banderoles et de drapeaux aux couleurs du club, le seul sujet de conversation est la victoire en finale de la Coupe d'Algérie et les célébrations qui en découlent. Dans la rue, dans les les magasins, entre voisins et copains, sur les terrasses des cafés ou dans les «houma», il n'est question que de cela. Et cette frénésie n'est pas uniquement l'apanage de la gent masculine. En plein cœur de l'avenue, non loin d'étals surmontés de parasols ou de toutes autres babioles de couleur rouge et blanc, quatre dames discutent, couffins et sacs à la main. Leur sujet de conversation n'est pas le prix des victuailles ou une quelconque recette de cuisine, mais la soirée palpitante qu'elles et leur famille ont vécue. «J'ai bien failli avoir une crise cardiaque tellement j'avais peur qu'ils perdent», dira la plus âgée d'entre elles, les autres femmes acquiesçant. L'une d'elles ajoute, l'air grave et les mains sur les joues : «Moi, j'avais peur pour mes fils qui ont fait le déplacement jusqu'à Blida pour assister au match et de leur déception en cas d'échec. D'autant plus que l'on sait ce qui se passe dans les stades, toute cette violence.» Car ces mères de famille avouent célébrer cette victoire, non pas par ferveur footballistique, mais elles vivent l'issue heureuse de ce match à travers leurs enfants. Tous jeunes, tous célibataires faute de «situation», chômeurs ou «bricoleurs» pour la plupart, mais tous fervents supporters du Chabab. «En dehors du football et de la joie qu'il leur procure, ils n'ont malheureusement pas beaucoup de raisons de faire la fête. Alors, pour une fois que nous les voyons heureux, nous n'allons pas bouder leur plaisir», s'enthousiasment-elles en chœur. Plaisirs gastronomiques évidemment, «comme pour une naissance ou un mariage, gâteaux, tamina et couscous sont à l'honneur. Nous avons décoré nos intérieurs en rouge et blanc. Nous les avons même aidés à draper les voitures de drapeaux et à suspendre les banderoles», racontent-elles. D'ailleurs, ses fils ont, toute la nuit durant et jusqu'au petit matin, défilé dans les rues d'Alger. «De notre côté, nous avons veillé jusqu'à leur retour, vers trois heures du matin. Vous savez, les jeunes ne savent plus s'amuser sans risquer leur vie, et les cortèges demeurent très dangereux. Un tout jeune garçon est même décédé il y a trois jours de cela alors qu'il défilait», s'attristent-elles. «Rouge et blanc dans le sang !» Un peu plus loin, une fille de 23 ans déambule, t-shirt à la gloire du club sur le dos, donne la main à ses deux neveux qui arborent fièrement des fanions. Dans sa famille, on est supporters du CRB de père en fils et en fille en l'occurrence. «J'ai grandi dans cette ferveur qui est élevée chez nous au rang de religion. Et c'est en famille, parents, frères et sœurs, neveux et nièces, que nous avons fait la fête et que nous avons tous défilé hier soir», explique-t-elle, poursuivant : «Que voulez-vous, c'est une passion que nous avons dans le sang.» Assis à l'ombre d'un immeuble, des hommes refont le match, concédant qu'ils «ont eu beaucoup de chance», accostant les passants et les congratulant à qui mieux mieux. «Je suis né dans ce quartier, mes parents sont enterrés ici, et j'ai suivi le club depuis ses débuts. Comment voulez-vous que je supporte un autre ?», dira un grand-père de 63 ans, rejoint dans ce sens par «El Hadj», retraité de son état, qui avoue toutefois ne pas être «très foot» ou «tifoso» dans l'âme. «Mais je suis heureux pour tous ces petits jeunes, et moins jeunes même !», dit-il en lançant un regard complice et amusé à son voisin. Selon lui, les Algériens sautent sur la moindre occasion de réjouissance, «particulièrement les plus jeunes. Il faut comprendre qu'ils n'ont, pour la plupart, rien à quoi s'accrocher, aucun amusement et aucun loisir. Ils sont frustrés», déplore-t-il. Selon lui, le football est, de ce fait, l'un de leur seul, si ce n'est l'unique, défouloir, leur seul exutoire, d'où cette liesse et cette profonde satisfaction. Et ce n'est pas cet entrepreneur de 45 ans, père de quatre fillettes, qui le contredira. «Je suis père de famille, pourtant, je suis le CRB dans tous ses déplacements. Et je peux vous dire que nous sommes tous euphoriques, jeunes, vieux, hommes, femmes et enfants», affirme-t-il en désignant sa fille vêtue du maillot de l'équipe. «Sept jours et sept nuits !» Cependant, la victoire n'est pas la seule préoccupation des Belouizdadis. Un autre sujet, qui est toujours en rapport avec le match, obnubile les pensées. Ce sont les violences qui ont eu lieu à Blida. «Certains supporters qui ont assisté à la rencontre sont toujours à l'hôpital. Même moi, on m'a cassé ma voiture, et je suis obligé de porter une emplâtre américaine», s'indigne-t-il en portant la main à son dos. Ses compagnons assurent, quant à eux, que «les Blidéens étaient acquis à la cause du CABBA» et ils ont «cassé de l'Algérois». Ils ont vendu aux supporters du CRB des bouteilles d'eau dans lesquelles ils ont versé de l'acide, ainsi que des sandwichs avec des lames de rasoir», accusent-ils, l'air groggy. Chassant ces actes de malveillance d'un revers de la main, «El Hadj» dira simplement : «Il ne faut pas en vouloir aux jeunes qui expriment leur mal vivre par la violence.» Deux femmes passent à proximité de ce rassemblement. Elles s'avèrent être nulles autres que les sœurs du défunt Yamaha, mythique leader des supporters du CRB. Ont-elles fêté cette victoire ? «Et comment ! Avant le match, dans la matinée, nous nous sommes rendues à la mosquée Sidi M'hamed, et nous avons prié pour notre club. Ensuite, nous avons défilé comme tout enfant de Belcourt qui se respecte», lance la cadette avec fierté, tempérée par son aînée qui ajoute : «Pas aussi tard que les hommes évidemment. C'est dans ces moments que l'on se dit que les garçons ont plus de chance que nous et qu'ils peuvent fêter comme il se doit cet évènement.» Evénement qui, selon toute vraisemblance, va être célébré encore longtemps, les réjouissances et les défilés n'étant pas en passe de prendre fin. «La fête va durer sept jours et sept nuits ! C'est à la mesure de cette victoire», prédit l'entrepreneur, suivi d'«El Hadj», qui conclut, un brin cynique : «Laissons-les encore s'amuser un peu et oublier leurs soucis quotidiens, avant de revenir à leur dure réalité.» Une sorte «d'effet Coupe du monde» à l'algérienne…