Des tonnes de médicaments périmés sont stockées dans l'arrière-boutique des pharmacies ou dans des hangars, en attente d'une destruction, et ce, en dépit des dangers que représente cette quantité de produits chimiques, 25 000 tonnes selon les estimations de l'Ordre algérien des pharmaciens (OAP). La raison de ce "blocage» est l'inexistence de canaux organisés et de coordination entre les différentes structures à même d'apporter une solution à la problématique dont souffrent les pharmaciens privés, les grossistes, les importateurs ainsi que les producteurs. «Un arsenal réglementaire existe, et la destruction des médicaments et autres déchets chimiques «anarchique» est interdite, et est même passible de prison», assure le Dr Lotfi Benbahmed, président de l'OAP. Chose logique au vu de la menace sanitaire et écologique que représenterait la destruction de ces médicaments, pleins de produits toxiques, d'hormones ou de principes actifs par exemple. Qu'ils soient mis aux ordures ou qu'ils soient brûlés en pleine nature, il y a, entre autres, risque d'intoxication et de pollution. «Certains pharmaciens jettent même ces produits dans les toilettes, ce qui est, évidemment, de l'inconscience, car il peut très bien y avoir infiltration de ces eaux usées et contamination des nappes phréatiques ou des réserves d'eau», confie une pharmacienne. Seulement, et en contrepartie de ces mesures juridiques, somme toute logiques, aucun réseau ou système normalisé n'a été établi afin de collecter ces stocks ou de les détruire. «Le problème se pose aussi pour les laboratoires scientifiques ou d'analyse, auxquels l'on a interdit l'incinération de leurs déchets au niveau des hôpitaux. Il y avait bien, il y a quelques années, une société de ramassage dans le nord du pays, et qui débarrassait les officines et les laboratoires de leurs produits indésirables. Malheureusement, cette entreprise s'est vue retirer son agrément et elle n'exerce plus», déplore le président. Le règnen de la débrouille Comment s'y prennent alors ces milliers de structures afin de se débarrasser de ces stocks ? «En fait, c'est selon. Mais nous en sommes au règne de la débrouille et de l'anarchie», répond-il. Certains laboratoires et officines en possession de grosses quantités de médicaments d'une seule sorte paient la destruction «normalisée et unifiée» de ces produits auprès d'une entreprise qui dispose d'un incinérateur à El Harrach. Reste les «petits» pharmaciens qui se retrouvent avec des quantités relativement petites de centaines de différents médicaments périmés. Quelques- uns usent de leurs connaissances dans les centres hospitaliers afin d'avoir accès aux incinérateurs dont ils sont dotés. «Mais ce n'est pas une solution conseillée, car les incinérateurs des hôpitaux sont conçus, en termes de volume, de construction ou d'isolation, pour les déchets organiques et autres, et non pas pour les produits chimiques et toxiques que dégagent les médicaments périmés brûlés», affirme le Dr Benbahmed. Quant aux autres apothicaires, ils n'ont d'autres solutions que de garder à leur niveau ces stocks, quitte à encombrer leur officine. A l'instar d'une pharmacienne qui conserve dans un hangar les produits non écoulés depuis son installation en 1995 : «Il est plein à craquer, et nous ne savons qu'en faire. Cela représente tout de même des centaines de cartons de produits chimiques qui peuvent, par exemple, s'altérer avec la chaleur. De plus, pour pouvoir être exonérés d'impôts quant à ces invendus, le fisc demande nécessairement le quitus d'incinération», indique-t-elle. Des risques, mais aucune mesure Car, au-delà de la gêne occasionnée par cette perte d'espace ou de revenus, d'autres risques, plus graves, existent. Ainsi, des confusions et de graves méprises sur la validité des boîtes de médicaments peuvent se produire, engendrant une réintroduction de ces préparations dans le «circuit» pharmaceutique, avec les incidences que l'on imagine et qui en découleraient, ou encore les détournements dont pourraient faire l'objet ces produits. «Même les inspecteurs du ministère de la Santé et les éléments de la Gendarmerie nationale se sont vivement inquiétés de cet état de fait et des dangers potentiels», déclare le Dr Benbahmed, qui assure que malgré «cette préoccupation affichée de la part des autorités», et en dépit de l'appel lancé par la corporation lors de son dernier rassemblement, aucune mesure concrète n'a été mise en place par les pouvoirs publics afin d'assainir cette situation. L'écueil majeur semble être le caractère pluridisciplinaire et interministériel que revêt le règlement de cette problématique. «La responsabilité incombe à plusieurs institutions : le ministère de l'Environnement, qui déclare qu'il ne peut rien entreprendre seul, le ministère de la Santé, le ministère de l'Industrie, ainsi que le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales. Il n'y a pas de collaboration, de coordination et de cohérence entre toutes les parties concernées», s'inquiète le président de l'OAP. «Pourtant, nous ne voulons rien inventer, le processus de suppression de ces déchets étant le même partout dans le monde : un réseau global de collecte et une normalisation de la destruction», s'insurge-t-il. Le citoyen, premier pollueur ? Prenant le taureau par les cornes, les pharmaciens tentent de régler ce problème par leurs propres moyens et initiatives. Ainsi, il est question de conventions entre ces apothicaires et les hôpitaux. De même, le président de l'OAP doit rencontrer aujourd'hui les responsables de l'Ecferal, qui gère l'incinérateur d'El-Harrach, pour «parler d'une éventuelle collaboration», déclare le Dr Benbahmed. Ce qui pourrait représenter «un début de règlement, mais à un niveau local seulement», tempère-t-il. Toutefois, un problème reste posé, et qui ne semble inquiéter aucun des intervenants dans ce processus. Car, malgré les précautions juridiques, environnementales et sanitaires prises, des tonnes de médicaments périmés se retrouvent chaque année déversés dans la nature ou dans les cours d'eau. L'on tente de maîtriser les stocks invendus, mais qu'en est-il des médicaments en possession du citoyen lambda, qui s'en débarrasse en même temps que ses ordures ménagères ? Ne sont-ils pas incinérés ou enfouis dans les décharges publiques au même titre que des pelures de légumes ou autres, sans que les autorités ne s'émeuvent outre mesure des ravages occasionnés ? Dès lors, ce «réseau global de collecte et de destruction» devrait impliquer, avant tout, la mise en place d'un système de tri et de récupération des ordures qui concernerait les citoyens, ensuite les structures plus importantes.