Mine de rien, la ministre de l'Education nationale, Nouria Benghebrit, est désignée ennemi public numéro un. Certains secteurs de l'opinion qui se recrutent parmi les milieux islamo-conservateurs ont quasiment mis sa tête à prix. Son péché ? Avoir assumé une recommandation pédagogique d'enseigner la langue «darija» (la langue populaire) dans le préscolaire et le primaire ! Il n'en fallait pas plus aux défenseurs autoproclamés de la langue arabe pour monter au créneau et dénoncer un «crime de lèse-majesté» commis contre la langue d'El Mutanabbi. Le propos ici n'est pas de défendre Madame la ministre qui est par ailleurs mieux outillée intellectuellement pour le faire, étant elle-même une experte du domaine. Mais cette chasse à la femme ouverte par les islamistes de tout poil et les nostalgiques du baâthisme cache une arrière-pensée idéologique, voire sexiste aux entournures. Il est vrai que c'est quasiment l'un des rares segments de la vie nationale sur lesquels embrayent ces gardiens du temple de l'unicité dans ses différentes acceptions en plus des questions sociétales. Il est rare d'entendre ces milieux faire des propositions sur l'après-pétrole, la recherche scientifique ou même l'opportunité d'exploiter le gaz de schiste. Mais l'école qu'ils contrôlent depuis des décennies ne devait pas échapper à leurs substances doctrinales. Ils tiennent particulièrement à former des générations d'Algériens qui épousent leur mode de pensée et intériorisent leur praxis idéologique de sorte à assurer la «relève». L'usage exclusif de la langue arabe dans l'enseignement est alors érigé en dogme idéologique, même s'il est reconnu être un principe anti-pédagogique. Et bien sûr, ces partisans acharnés de la langue arabe n'hésitent pas à envoyer leurs rejetons étudier au lycée français Alexandre-Dumas d'Alger, et plus tard dans les universités parisiennes ! Là n'est pas le propos puisque l'hypocrisie est la «valeur» la plus partagée au sein de ces milieux qui adorent ce genre de polémiques stériles et stérilisantes. Il aurait juste fallu lancer un débat serein et sans a priori idéologique autour de cette question de l'opportunité ou non de l'introduction de la langue maternelle dans le système scolaire. Ce sont du reste des experts réunis en conférence nationale de l'éducation qui sont à l'origine de cette proposition, et non pas Mme Benghebrit. Quand l'idéologie supplante la pédagogie Cette recommandation figure aussi parmi 200 autres destinées à revoir la copie de l'école algérienne sinistrée par des décennies de bricolage à cause précisément de ces interférences idéologiques. «Notre démarche a été de trouver une solution pour apprendre de manière la plus adaptée et la plus performante la langue arabe scolaire à nos enfants», se défend Nouria Benghebrit. Du reste, si le président Bouteflika a choisi cette femme pour parfaire la réforme de l'éducation, ce n'est certainement pas pour ses beaux yeux mais pour ses états de service dans le secteur, mais aussi son expertise en tant que membre de la commission Benzaghou. La logique voudrait que si l'on attaque la ministre, c'est comme si on remettait en cause le programme du Président qu'on est censé défendre. Les diatribes du chef du groupe parlementaire du FLN, Mohamed Djemai, et du porte-parole du RND, Seddik Chihab, tombent toutes deux sous le sens. C'est un lâchage politique en bonne et due forme des représentants des deux principaux partis au pouvoir. On ne sait pas encore s'ils ont été «missionnés» pour désavouer publiquement la ministre de l'Education, ou s'ils ont agi seuls. Mais la messe semble dite quand on entend le député du FLN asséner : «La ministre est dans l'impasse car elle ne peut pas franchir le tunnel dans lequel elle s'est empêtrée à travers sa démarche.» Et son homologue du RND d'accuser : «On a l'impression qu'une force occulte s'amuse depuis quelque temps à jeter de l'huile sur le feu.» Lâchage ou nuage d'été ? Nouria Benghebrit sera-t-elle exclue du système scolaire avant la rentrée des classes ? Les déclarations des représentants du FLN et du RND, additionnées à la «ligne rouge» d'Amar Ghoul, sonnent en tout cas comme une sentence irrévocable. Une sentence déjà prononcée en grosses manchettes par certains journaux arabophones proches des islamistes qui, paradoxalement, sont ceux qui malmènent le plus la langue arabe en abusant de la darija, y compris dans leur «une». Ce feu nourri contre Benghebrit traduit-il une lame de fond visant à bloquer tout progrès et toute performance de l'école algérienne ? Ou s'agit-il d'un simple nuage d'été destiné à amuser la galerie ? Wait and see.