Chahut insupportable! Mme la ministre de l'Education nationale a été bien indulgente qui se limita à «bruiter» sur l'intolérance agressive des nouveaux pédagogues du savoir parler et du savoir penser. En fait, toute la problématique est là - même si cela n'est pas énoncé aussi clairement -: savons-nous [nos enfants a fortiori] parler les langues usuelles pratiquées en Algérie? La langue est l'outil indispensable de la communication. Savons-nous communiquer? Des constats ont été faits - certes sur le tard, mais ne vaut-il pas mieux tard que jamais? -: l'enseignement des langues et particulièrement de l'arabe a échoué. C'est vérité de La Palice que de le dire: les éducateurs et ceux dont la langue est le véhicule de travail (cf; les journalistes) savent pertinemment le gâchis que sont les langues en Algérie. Il fallait seulement avoir le courage de l'exprimer. De la langue découle tout un processus de formation qui débute dès le premier âge et induira l'homme adulte. Il fallait donc s'entendre sur la langue à enseigner et comment l'enseigner. Ceci posé, reste le fondement du parler: la langue maternelle, quelle que soit la langue dans laquelle elle s'exprime. Le premier parlé qu'un bébé entend est celui de sa mère, le premier mot qu'il prononce est «maman». C'est dans ce milieu maternel ambiant que va évoluer le jeune enfant jusqu'à l'école (en règle générale à l'âge de cinq ans) ou, concurremment avec le dialectal, il va commencer à engranger les notions qui lui permettront de comprendre la langue et parfaire sa locution. Cela peut paraître élémentaire. Cela ne semble pas l'être pour tous si l'on excipe des censeurs de Mme Benghebrit, qui se disqualifient d'eux-mêmes, montrant leur ignorance dans un domaine qu'ils ne comprennent que sous l'angle étroit de l'idéologie normative. Le précepte d'une langue ne peut être doctrinal ou lié à une croyance. L'arabe est la langue du Coran: c'est un fait. Or, ils sont des millions de musulmans qui ne sont pas arabes, parlent une autre langue que l'arabe et n'en usent que dans le contexte religieux. Faut-il leur jeter l'opprobre? Bien sûr que non! Sur un milliard et demi de musulmans, seuls 300 millions sont des Arabes ou assimilés à des Arabes. Faut-il alors nier l'islam des non-Arabes? C'est de fait un hiatus par lequel les fondamentalistes terrorisent le pays. Un terrorisme intellectuel abject qu'ils agitent, orphelins de raisonnements sérieux et concrets à l'appui de leur opposition à la réforme de l'enseignement de l'arabe. Une réforme désormais vitale. Alors on hurle avec les loups. C'est la constance par laquelle les fondamentalistes - autoproclamés gardiens du temple - ont empêché ces dernières années le pays d'avancer. Un pays dont la caractéristique est la non-maîtrise par la population de sa langue d'expression (que celle-ci soit véhiculée en arabe, en tamazight ou en français). C'est tellement vrai que, à de rares exceptions, peu de hauts commis de l'Etat, ministres ou leaders politiques parlent correctement la langue officielle du pays: l'arabe. Aussi, améliorer l'usage de l'expression courante de cette langue est un gage de la préservation de l'authenticité de l'arabe que les pithiatiques prétendent chérir. Aussi, dire que l'on veut «annuler» la pédagogie de l'arabe, c'est du n'importe quoi. En vérité, il y a autant de variantes de l'arabe qu'il y a de peuples arabes, dont aucun ne se targue de faire de l'arabe classique sa langue de tous les jours. Et bien sûr, il y a des Algériens qui se veulent plus royalistes que le roi. La langue arabe bien parlée et dont on maîtrise la diction est d'une écoute merveilleuse. Est-il magique d'entendre ânonner chez-nous une langue abâtardie qui ne rappelle en rien celle sublime qui éveille les sens et remue les êtres? Les censeurs de Mme Benghebrit ne savent pas de quoi ils parlent quand ils auraient dû remercier la ministre de l'Education nationale d'avoir à coeur de redonner à l'arabe sa contexture en le replaçant dans la concordance du parler naturel de ce peuple: le dialectal algérien. En minorant et en marginalisant la langue maternelle, incontournable pour tout apprentissage du parler usuel, nous avons perdu et fait perdre au pays cinquante trois ans. Si l'arabe ne s'est pas intégré comme fait intrinsèque de notre personnalité, c'est que ceux qui avaient en charge sa pédagogie ont gravement échoué. Y compris, singulièrement, ceux qui montent aujourd'hui au créneau. Aussi, cette psychose de l'arabité montre surtout que ces pseudos «maîtres à penser» ne sont pas eux-mêmes persuadés par des positions extrêmes que rien ne légitime. Peut-on attendre d'un jeune Français ou d'un jeune Anglais qu'ils parlent respectivement comme Voltaire et Shakespeare sans passer par un processus du savoir? C'est encore plus curieux d'imaginer un gamin algérien parler comme Al Mutanabbi ou Al Djahiz. Cela se peut-il quand notre système d'éducation reste inadapté?