El Hob El Mafkoud (l'amour perdu) est une production du Théâtre national d'Alger (TNA). Mise en scène par Ahmed Benaïssa, la pièce a été présentée pour la premiere fois jeudi dernier au Théâtre régional de Constantine (TRC) dans le cadre de la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe 2015». Cette fascinante œuvre d'une heure et demie nous plonge en l'an 203 avant J.- C. Un bond dans l'histoire qui renvoie à la troisième guerre punique mettant en scène Massinissa, «Massensen» comme a tenu à le rectifier l'auteur du texte et chercheur algérien, Abdelkrim Ghribi. Cette fresque historique mise en scène par Ahmed Benaïssa, absent lors de cette générale, s'adresse au public dans un registre dramatique sous forme d'épopée. Elle aborde des événements marquants de l'histoire de la Numidie et la place qu'occupait Cirta. Elle débute sur des pas chorégraphiques très précis des comédiens, qui déambulaient sur scène pour donner le ton de la fiction arrimée à une modernité éloquente. La protagoniste de la pièce, Sophonisma, rôle campé par Farida Zaïchi, est la fille unique d'Hasdrubal Gisco, un général carthaginois. Cette reine, célèbre pour sa beauté légendaire, sa force et son intelligence ainsi que son amour pour sa patrie, a été forcée d'épouser le roi de Numidie Syphax, joué par Abdellah Nemiche, sur ordre de son père, afin de sceller une alliance entre Carthaginois et Numides, puis d'épouser plus tard Massensen, interprété par Karim Hamzaoui, roi numide rival de Syphax, avant qu'il ne devienne allié de Rome à la suite de la défaite de Syphax et d'Hasdrubal à la bataille des Grandes Plaines face aux armées romaines. Mais Scipion, dit l'Africain, désapprouva cette union, craignant que Massensen ne se détourne de l'alliance romaine au profit de Carthage (Numidie occidentale dont la capitale était Siga, actuelle Aïn Témouchent). Alors qu'elle devait finalement subir le sort des vaincus et être emmenée à Rome pour figurer au triomphe de Scipion, Sophonisma préféra la mort plutôt que de tomber aux mains de ses ennemis. Elle mit fin à sa vie en buvant du poison, laissant derrière elle sa patrie entre les mains de Massansen. Cette émouvante scène a suscité des applaudissements de la part d'un public peu nombreux mais connaisseur. Sophonisma a été accompagnée par sa fidèle servante Izlane, rôle joué par Wahiba Baâli, talentueuse comédienne venue de Tamanrasset. Un clin d'œil à l'imzad, instrument de musique réservé aux femmes du sud algérien. Autre élément propre àcette pièce, eraoui (conteur) campé par Feth Allah Malek, qui apparaît à chaque fin d'acte pour résumer et éclaircir le cours de l'histoire et la succession des événements qui s'y déroulaient. Du beau spectacle
Le décor trop simpliste de la pièce et son manque d'originalité qui n'a pas convaincu ont été joliment rattrapés par les déplacements des comédiens ayant parfaitement occupé l'espace scénique. Les costumes étaient olympiques, parfaitement en accord avec l'histoire des rois de l'époque. Par ailleurs, l'emploi de vraies épées dans la scène de guerre était un risque à prendre, compte tenu des blessures occasionnées sur certains comédiens, notamment Abdellah Nemiche. La musique a réchauffé les cœurs et parfaitement accompagné le cheminement de l'histoire. Les arrangements harmonieux de Mohamed Zami ont bien illustré les fontaines d'eau qui coulent au sein des palais. En effet, la musique était présente tout au long du spectacle, accompagnée de chants en live interprétés pas les seize comédiens de la pièce. La chorégraphie a été également bien exécutée par ces derniers, parfaitement asymétrique et en accord avec la musique. Par ailleurs, le jeu de certains comédiens était peu probant. Le spectateur avait l'impression d'assister à une lecture robotique du texte sur un même ton. Une verve de l'histoire El Hob El Mafkoud fait référence à la perte de repères, d'acquis, d'aura et d'histoire et de beaucoup d'autres choses. La pièce met en scène seize comédiens, huit danseurs dont des chorégraphes de différentes wilayas, dont Oran, Tamanrasset, Béjaïa et Alger. Elle a été répétée durant deux mois à Maghnia, selon la volonté du metteur en scène Ahmed Benaïssa et s'inscrit dans le cadre d'une résidence de création. «Un travail collectif, assuré par une équipe de jeunes qui y trouve l'opportunité d'apprendre et de développer ses vocations dans un cadre professionnel», nous dira Ali Abdoun, assistant-metteur en scène, lors des débats sur la pièce organisés en soirée. «On continue de peaufiner les derniers filages de la pièce», nous dira Karim Hamzaoui, qui a brillé dans le rôle de Massensen. Pour Abdelkrim Ghribi, le texte est un retour aux sources qui émanent de la nuit des temps. «Je n'ai pas revisité l'histoire, je la questionne», précise-t-il. Ce chercheur interpelle le peuple algérien sur «sa vraie histoire». «Nous n'avons pas de repère historique, notre identité a longtemps été façonnée selon les nombreux colonisateurs qui ont occupé nos terres, c'est pour cela que j'ai préparé le texte avec une vision géopolitique en étudiant l'histoire et en la projetant sur l'actualité…», explique-t-il. Cette pièce nous montre l'incroyable émancipation de notre grande civilisation et nous interpelle sur bon nombre de points communs avec notre histoire et l'actualité. Elle sera prochainement jouée à Alger et dans l'est du pays.