Un rapport de l'Institut national français de recherche agronomique (Inra), publié il y a quelques jours, a relevé le niveau inquiétant de la dépendance alimentaire du pays vis-à-vis du marché extérieur. L'Algérie qui importe plus de 40% de ses besoins alimentaires aujourd'hui, risque de dépasser ce stade dans les prochaines années. L'Inra prédit un avenir sombre pour le pays s'il ne prend pas des mesures urgentes. L'expert-agronome Akli Moussouni s'exprime sur ce document et fait un constat amer dans cet entretien sur la sécurité alimentaire. Le Temps d'Algérie : Quel est votre avis sur le dernier rapport de l'Inra français qui portait sur les menaces pesant sur la sécurité alimentaire des pays du Mena, notamment l'Algérie ? Akli Moussouni : La sécurité alimentaire algérienne était toujours menacée en l'absence de nouvelles dispositions pour l'assurer. Je trouve que le rapport n'est pas pertinent du fait que cette manière de voir les choses est ostentatoire et cela ne demande pas de faire de la recherche pour confirmer cela. Pourquoi ? Pour la sécurité alimentaire du pays, il y a lieu d'évoquer deux choses importantes. D'abord, il faut parler de disponibilité de produits de consommation. Durant les années 1970, l'agriculture algérienne couvrait 30% des besoins alimentaires du pays. Aujourd'hui, elle couvre à peine 15% des besoins. Les importations sont un témoin flagrant de l'évolution, très dangereuse, de la situation alimentaire du pays. C'est pratiquement 12 milliards de dollars de facture alimentaire. La sécurité alimentaire est assurée dans sa totalité à l'aide des recettes des hydrocarbures. Les intrants agricoles sont aussi importés. Pratiquement, il n'existe rien en Algérie en matière de fabrication de matière première. On peut dire que l'importation est la branche de salut pour la sécurité alimentaire du pays. Concernant le deuxième volet de la sécurité alimentaire, c'est l'accès à l'alimentation. C'est la possibilité d'acheter un produit alimentaire sur le marché local. Cet accès dépend lui aussi de l'importation. La volonté des pouvoirs publics de réduire les importations en raison de la chute des prix des hydrocarbures va créer un déséquilibre qui peut toucher l'équilibre social du pays. Le comble aussi : nous avons des produits qui sont commercialisés, mais qui ne sont pas normalisés. C'est doublement paradoxal. Cela veut dire que nous sommes en train de consommer des produits importés et douteux. Or, il se trouve que l'Algérie dispose de potentialités pour assurer le développement local et protéger les populations. Il nous manque des mécanismes de protection et de préservation des produits du terroir, du sol et même des idées. L'Algérie est-elle capable, selon vous, d'assurer son autosuffisance alimentaire ? Ce qui pose problème actuellement, ce n'est pas la mobilisation des moyens pour assurer sa sécurité alimentaire. Il y a des territoires et des vocations, des potentialités naturelles à remettre en œuvre. L'inquiétude actuellement face à la crise qui prend de l'ampleur et qui risque de remettre en cause la souveraineté de l'Algérie, et les mesures décidées qui ne répondent à aucune logique de développement ou de recouvrement de la sécurité alimentaire. Le fait d'attribuer 3 DA de subvention pour un litre de lait cru est inapproprié. C'est une mesure inutile qui va s'inscrire dans la logique du gaspillage économique du pays dès lors qu'elle va coûter au Trésor public plus de 9000 milliards de centimes. Avant de parler des potentialités de l'Algérie, il y a lieu de s'interroger sur les mécanismes de valorisation de ses potentialités, à savoir les mécanismes réglementaires, de suivi du soutien public, et surtout de la réorganisation de la profession autour de produits. Malheureusement, nos organisations professionnelles ne s'inscrivent dans aucune logique de développement de l'économie nationale. Elles constituent un agrégat dispersé au lieu que l'organisation se fasse par produits pour créer un réseau de toile actif. Est-ce qu'il n'y a pas lieu de revoir le régime alimentaire pour réduire la consommation et par conséquent la facture alimentaire ? Toute politique agricole doit toucher de près toutes les grandes filières de large consommation. Et toutes ces politiques doivent obéir aussi à une politique de nutrition. Il s'agit de la mise en place de programmes qui respectent la vocation de nos territoires, notre climat et notre contexte agricole. Je peux citer un exemple précis dans ce cas. Je ne vois pas comment un pays comme l'Algérie qui dispose de 1600 km de côte consomme à peine 3 kilos de sardines par habitant. Et en parallèle, on consomme de la viande blanche, dépendant totalement des importations, qui est en fait une échappatoire pour la faiblesse de la consommation de la viande rouge. Je me demande comment peut-on investir à 100% dans une filière qui dépend à 100% de l'étranger. Ce que consomme l'Algérie doit être donc à l'origine de toute une vision. A ce titre, il faut aller dans deux sens. C'est de faire valoir le produit national, cela va même permettre de développer la filière du tourisme local. Deuxièmement, notre politique agricole doit obéir à assurer une santé publique et la protection des populations. Pourquoi on ne développe pas la consommation de l'huile d'olive algérienne ? Il n'y a jamais eu de promotion de l'huile d'olive en Algérie. Il faudrait encourager la consommation de produits que peuvent donner nos territoires. Certains experts doutent de la capacité du pays à développer l'agriculture du fait du manque d'eau. Ces derniers situent l'Algérie dans une zone semi-aride... La calamité de l'Algérie est son incapacité à exploiter rationnellement les ressources hydriques disponibles. Cette année par exemple, il manquait à peine 40 mm de pluie pour sauver la production céréalière. En l'absence de mécanisme d'irrigation, d'un programme qui puisse permettre à des territoires importants de recevoir de l'eau, on perd des quantités importantes de nos productions de céréales. On assiste aujourd'hui à une exploitation irrationnelle des eaux souterraines des Hauts Plateaux avec l'usage de pompes qui tirent 24h/24. Cela constitue un exemple du gaspillage d'un moyen d'existence. Quant à notre caractère de pays semi-aride, il ne date pas d'aujourd'hui. Nous sommes dans une région semi-aride depuis 8000 ans. Le vrai problème est l'absence d'une politique de l'eau qui s'accumule à nos carences en matière de gestion du secteur agricole.