Il a trente ans et depuis qu'il est en âge d'appréhender les choses de la vie, il a toujours pensé que le Mouloudia est toute… la vie. Hier, comme tant d'autres fois, le Mouloudia devait jouer contre l'USMA. Et contre l'USMA, c'est un peu plus que «toute la vie». La vie de Mokhtar n'est vraiment pas facile mais elle a l'avantage d'être simple. Il tenait un mur permanent et depuis qu'il a été emporté par les inondations de Bab El Oued, il tient un autre mur à Bab El Oued. Seul le décor a changé dans sa permanence, depuis les inondations, il y a l'arbre de l'amitié érigé face à la mer à l'occasion de la visite de Jacques Chirac. Il aurait volontiers troqué l'arbre contre un visa mais Mokhtar sait que ses désirs ne comptent pas. Ou on pense que le Mouloudia est toute la vie et qu'un match contre l'USMA est un peu plus que la vie, ou on a des désirs. Les deux ne peuvent pas cohabiter. Chez Mokhtar, le visa n'est d'ailleurs qu'une idée furtive qui lui traverse l'esprit quand le Mouloudia est à son plus bas niveau. Ou quand il n'a pas de quoi se payer un «café jetable» à traîner le long du mur et quelques cigarettes au détail, ce qui est à peu près la même chose. Il arrive souvent que le Mouloudia traverse de mauvaises passes depuis que le club est devenu le parti politique le plus populaire d'Algérie. Et un peu moins souvent que Mokhtar n'ait pas de quoi se payer un gobelet à siroter toute la journée et quelques «Rym» à se faire allumer par des passants suspicieux. Mais Mokhtar a toujours de quoi payer son ticket de stade et une écharpe vert et rouge. Il arrive même qu'il s'offre un bonnet aux mêmes couleurs. Quant aux fumigènes, il s'arrange toujours pour en partager chez les autres. En terre de foot, on ne partage pas tout parce qu'il faut quand même mériter sa passion mais on peut partager certaines choses. Dans l'euphorie enivrante de la victoire ou dans la détresse désespérante de la défaite. Des douces euphories de la victoire et des amers lendemains de raclées, Mokhtar en a connu. Contre les «autres», mais ça, c'est moins saignant et contre l'USMA, toujours «tsunamiques». Hier, Mokhtar était paradoxalement serein. Non pas parce que sa folie a refroidi ou qu'il est rassuré sur l'issue du match. L'USMA caracole toujours en tête du championnat et le Mouloudia n'a pas encore confirmé ses indicateurs de retour en grâce. Mais depuis une semaine, Mokhtar a entendu beaucoup de choses. «Ce sera la fête», «ce sera le retour du vrai derby parce que le 5-Juillet, c'est tout de même autre chose»… Alors, il a revendu son ticket à son double prix, remis l'écharpe au copain de quartier qui avait consenti à la lui céder à crédit et a eu cette idée de génie : tenir le mur tout seul dans Bab El Oued vidé de son humanité et s'enfermer dans sa chambre avec les fenêtres closes et oreilles bourrées de coton. Il saura quand même le résultat le lendemain mais demain est toujours un autre jour. Slimane Laouari Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.