Pour un bain de foule qu'il aurait vivement souhaité dans ce quartier martyr, Bouteflika a pris une douche écossaise. Bab El-Oued, encore et toujours. Novembre 2001. Bouteflika, en compagnie du président français Jacques Chirac, venu s'enquérir de la situation de Bab El-Oued, quelques jours après les inondations, a eu droit à des “donnez-nous des visas”, tout aussi bruyants que récurrents. Une année après, Bouteflika est retourné, seul cette fois-ci, au chaudron de Bab El-Oued, mais le refrain n'a pas changé. “Donnez-nous des visas”, s'égosillaient, hier encore, des centaines de gorges pleines à craquer… de misère, de malvie et de détresse. Le président de la République s'en souviendra certainement de l'éphémère après-midi qu'il a partagé, hier, avec les jeunes de ce quartier populaire, plus que jamais, frondeur. Hier, il n'a pas entendu des “Tahia Bouteflika” comme il l'aurait sans doute souhaité dans ce baromètre électoral qu'est Bab El-Oued. Les clameurs de quelques centaines de personnes ont ajouté un peu plus de poids à ce soleil qui dardait ses rayons sur le cortège officiel. Bab El-Oued n'a pas changé. Le verdict populaire est tombé, encore une fois, sur ces officiels, à leur tête Abdelaziz Bouteflika, qui n'ont pu obtenir la claque tant attendue, malgré le ravalement des façades de ce quartier mythique qui raconte à lui seul l'histoire de l'Algérie. La grande place, aménagée en plein centre du quartier sur les décombres de plusieurs immeubles, a servi de tribune de stade à ces jeunes désœuvrés pour clamer haut fort leurs ressentiments, leurs rancœurs mais surtout réclamer “el-hedda” (l'émigration). En chœur : “Aâtina L'viza”, lancent rageusement des dizaines de voix à l'endroit du Président qui s'approchait du cercle sportif du Mouloudia vers 14h50. “Mouloudia + Bouteflika = l'Algérie”, “Bouteflika pour toujours”, ces slogans peints sur des banderoles en nylon, à l'entrée de l'ex-centre de santé transformé en QG du MCA, dégagent une “odeur” officielle. À côté, une banderole bricolée à la va-vite revendique : “Un stade pour le MCA.” En fait, tout le monde est presque convaincu d'une chose : le Président est venu inaugurer le cercle sportif du Mouloudia ! Pour cause, tout Bab El-Oued est paré de banderoles et drapeaux à la gloire du club. Les supporters du club rival, l'USMA, se sont d'ailleurs payé un malin plaisir de chambrer leur vis-à-vis du MCA. “Equipe taâ el-houkouma” (C'est une équipe du pouvoir), ose, énervé, un jeune portant un maillot rouge et noir du club de Soustara. Entre Bouteflika et le MCA, il y a assurément une histoire d'alliance. Son chef du protocole, Rachid Mâarif, n'est autre que le président de l'association El-Mouloudia. C'est pourquoi tout le monde réclame un stade pour le club. Et plus si affinités… En tout cas, Bouteflika est resté un bon moment à l'intérieur du cercle où il a été accueilli par le Dr Messaoudi. Pendant ce temps, les bambins, des supporters pour la plupart, massés devant le siège, s'acharnent sur les drapeaux flambant neufs du Mouloudia que les organisateurs ont accrochés un peu partout. La police et les organisateurs les pourchassent dans une course-poursuite qui a détendu un peu l'atmosphère. 15h05. Le Président ose une marche à pied vers le quartier des Trois-Horloges. Mal lui en prit, il fait “connaissance” avec les irréductibles de Bab El-Oued. Les “Donnez-nous des visas”, “Bab El-Oued echouhada” donnent la mesure aux pas cadencés mais pressés de Bouteflika. À sa droite, un jeune homme l'interpelle fiévreusement de loin : “Monsieur le Président, j'ai envie de vous parler, venez m'écouter.” Les policiers, ne lui laissant aucune chance, l'immobilisent par la force contre le mur. Il tente de se libérer mais leur étreinte est forte, alors que sa voix rageuse se perd dans la foule qui suit le cortège. Une centaine de jeunes en délire crie à tue-tête, derrière un grillage surveillé par une armada de policiers, le nouvel album des “Messamâia” sur un air du fameux dessin animé Sinane : “Ma ahla an naâich fi Barcelona, w'el-Dzaïr tabqa, tabqa lil poulissia.” Cette sentence, tirée du génie populaire, donne à peu près ceci en français : “Qu'il est meilleur que nous vivions à Barcelone et que nous laissions l'Algérie aux policiers.” Il faut dire que les forces de sécurité ont redoublé de zèle au passage du convoi présidentiel. Une jeune femme, qui a eu l'outrecuidance de brandir un portrait de Belaïd Abrika au milieu de la foule, en criant “Pouvoir assassin”, a été vite mise “hors d'état de nuire” devant le “Raïs”, par des policiers qui ont vite fait d'étouffer sa voix. Mais l'armada des services n'a pas eu raison de ces centaines de jeunes qui voulaient se faire entendre. Ils l'avaient dit, il y a une année, et ils l'ont réitéré à volonté hier : “Nous voulons des visas, pas plus.” Il ne restait à Bouteflika que d'aller serrer la main à Saïd Allik au cercle sportif de son club pour ne pas soulever l'ire de la galerie de l'USMA. Pour le reste, la messe est dite : Bab El-Oued n'aime pas Bouteflika… H. M.