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Ahmed Tessa, ancien enseignant et pédagogue : «Nous payons cher des opérations idéologiques et politiques»
Publié dans Le Temps d'Algérie le 11130

Le Temps d'Algérie : Le ministre marocain de l'Education vient de soumettre son plan d'enseignement des langues étrangères, dont l'enseignement du français à partir de la première année scolaire. Un commentaire ?
Ahmed Tessa : La vraie réforme marocaine n'est pas seulement d'avancer le français en première année du primaire. Il introduit l'anglais à la fin du cycle primaire et l'enseignement des mathématiques, des sciences et de la technologie en français. Cela pour la précision. Comme commentaire, que dire ? Si ce n'est que le Maroc s'est inspiré des pays du Golfe qui utilisent l'anglais (pour des raisons historiques) et dans certains établissements huppés, le français, pour l'enseignement de toutes les disciplines scientifiques dès le préscolaire jusqu'à la fin de l'université. C'est aussi un constat de l'échec de la politique de la généralisation de la langue arabe comme langue d'enseignement, que le Maroc a lancée il y a de cela trente ans. Alors que l'Algérie a bouclé cette opération en l'espace de quinze ans (1970 à 1985). Un record ! Il y a lieu de signaler que la Commission nationale de la réforme de l'école installée par le président Bouteflika en 2001 a recommandé la même chose dans son rapport final remis en 2002. Le Maroc a pris moins de temps que nous pour établir son constat et surtout de prendre le «taureau par les cornes» et prendre des décisions.
Longtemps considérées comme matières secondaires, pourquoi a-t-on toujours tendance à marginaliser l'anglais et le français dans l'enseignement des matières techniques et scientifiques ?
Pire que ça. L'Algérie a été le seul pays au monde à avoir arabisé les symboles scientifiques vers la fin des années 1970. Une ineptie qui a duré presque trente ans. Il a fallu attendre 2004 pour que cette ineptie prenne fin. Il faut rafraîchir les mémoires aussi, au début des années 1980, toutes les langues étrangères, autres que le français et l'anglais, ont été supprimées.
Et cela a duré des années. C'est dire l'aveuglement idéologique qui prévalait à l'époque du parti unique.
Bien sûr que nous perdons au change. Surtout que cela alimente l'apartheid linguistique, puisque les écoles privées et le lycée français de Ben Aknoun enseignent les matières scientifiques en français, et ce, dès le préscolaire. Alors que le secteur public continue de n'utiliser que la langue arabe. Deux poids et deux mesures. Et la ségrégation entre les élèves survient à l'université où la langue arabe cède la place au français dans les filières les plus courues (médecine, pharmacie, architecture).
Même la programmation du français dans le cursus scolaire vient curieusement toujours en fin de journée. Cela ne dénote-t-il pas de la moindre importance accordée à cette langue ?
Il s'agit là du statut de cette langue qui n'a pas cessé de baisser depuis la fin des années 1960. Pourtant, le rapport de la commission nationale de la réforme a soulevé ce dysfonctionnement dès 2002. Nous payons cher des opérations purement idéologiques et politiques menées en dehors de toute norme pédagogique et scientifique.
Avec l'officialisation de tamazight, nous avons une belle opportunité pour redorer le blason terni de l'école algérienne.
Notamment dans la solution à apporter à la cohabitation des langues dans le système éducatif (école et université), et ce, pour mettre fin à l'apartheid linguistique qui sépare nos enfants en fonction de leur origine socioculturelle.
Pourquoi veut-on à tout prix «sacraliser» la langue arabe, au lieu de faire montre de pragmatisme par l'utilisation des langues plus adaptées aux matières scientifiques ?
La réponse est évidente. Tout le monde la connaît. Maintenant, il nous appartient en tant que société civile de peser dans les décisions politiques concernant cette question linguistique et rendre à la langue arabe son statut de langue de la création littéraire, loin des tabous idéologiques.
Naguib Mahfoud, Adonis, Mahmoud Darwich et chez nous Waciny Laaredj, Ahlam Mostaghanemi – pour ne citer que ceux-là – ont donné l'exemple d'une langue pleine de créativité, qui exprime la beauté dans tous ses états.


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