Les brutalités policières exercées ces derniers jours contre des manifestants à Béjaïa, suivies de leur arrestation, sont-elles annonciatrices d'une interdiction des marches et autres rassemblements ? Le premier à faire les frais de cet autoritarisme est le président de l'Association pour la défense et l'information du consommateur (ADIC) dont le rassemblement a été dispersé mardi passé par la police à coups de matraque. L'animateur de cette association et quatre manifestants ont été introduits de force dans la cour de la wilaya puis emmenés au commissariat de la ville où ils ont été interrogés puis remis en liberté. Cette association s'est manifestée à plusieurs reprises à travers de nombreux rassemblements afin de dénoncer la nouvelle tarification du transport urbain et revendiquer un réel service public dans une ville livrée au diktat des transporteurs. Mais pas que ça. L'ADIC s'est distinguée aussi au début de l'année par une campagne de dénonciation de ce qu'elle a qualifié de «dilapidation de deniers publics» par l'APC de Béjaïa à travers un programme de démolition de stèles et statues et la réalisation de nouvelles à coups de centaines de millions de dinars supportées par le contribuable. En dépit d'un démenti de la cellule de communication de la commune, l'opération de démantèlement des stèles a bien eu lieu par la suite. Pis encore, des stèles à l'image de celle de Saïd Mekbel ont été carrément démolies pour être remplacées par de plus moches. Et à propos du buste du journaliste assassiné, son remplacement par une autre figuration sculptée en bronze, comme annoncé par le wali en novembre passé et dont Le Temps d'Algérie s'est fait l'écho à l'époque, laisse planer des doutes quant à la matière utilisée. Selon un spécialiste qui s'est confié à un confrère, les nouvelles statues sont réalisées à base de résine de bronze, matière ne renfermant pas les mêmes propriétés de résistance aux éléments. Ce spécialiste assure que ces statues ne sont que recouvertes d'une poudre de bronze, ce qui leur donne leur apparence actuelle. Dans la même journée, une quarantaine de citoyens venus de la lointaine commune de Tamokra revendiquer une amélioration des moyens de prise en charge des questions de santé publique ont été embarqués par la police, puis relâchés après l'interrogatoire d'usage. Ces interventions parfois musclées de la police n'augurent rien de bon. Ce signal des autorités locales en direction de la population dont la rue reste le seul recours pour faire aboutir des revendications de tout ordre, inquiète beaucoup la société civile à Béjaïa à en juger par les débats que ces mesures suscitent. «Cette répression ne conduira naturellement que vers la radicalisation des acteurs et la multiplication des actions pénalisantes telles que la fermeture des routes et les émeutes urbaines», avertit Mourad Ouchichi, universitaire et observateur averti de la scène politique locale. L'économiste prône «une gestion démocratique et pacifique des affaires publiques» seule à même de permettre le règlement des conflits et l'amélioration du cadre de vie des gouverneurs et des gouvernés» plutôt que la conception stalinienne de la gestion de la cité. L'action des pouvoirs publics dans la prise en charge des revendications citoyennes est très critiquée par la population dans tous ses segments. «Les professions de foi n'ont aucune prise sur une population désabusée», pour reprendre les propos d'un syndicaliste. Le fossé est trop large pour que la population adhère au discours des autorités faits de promesses sans lendemain.