Pour résumer sommairement ce que reprennent, depuis dimanche dernier, les médias du monde entier, c'est l'enfer en plein paradis… L'enquête internationale réalisée par pas moins de 107 journaux sur près de 11,5 millions de documents révèle l'existence dans des paradis fiscaux d'avoirs détenus par 140 responsables politiques ou personnalités de premier plan. L'entourage de Vladimir Poutine, Messi, Platini, un ministre Islandais, des proches de Mohamed IV, du roi d'Arabie saoudite, des vedettes de cinéma, notre ministre Bouchouareb etc., etc., sont désormais regroupés sous la dénomination de «Panama Papers». Sans attendre plus d'un sensationnalisme qui sera, prenons-en le pari, méticuleusement adouci, l'opinion se contrefout de qui ira en prison ou pas et de qui aura démissionné ou pas. Bouchouareb devra, pour sa part, se dédouaner ou démissionner et le monde ne s'arrêtera pas de tourner pour autant ou pour si peu... Les vrais requins de haute mer, véritables acteurs de la finance, seront toujours là où l'on ne les voit pas. Car, derrière ces révélations persistent des insuffisances dans la délicate et bien nommée évasion fiscale. Le sens des mots y est primordial. Ce «Panama Papers» reprend, en fait, une pratique anglo-saxonne dite du «nommer et faire honte». Bien sûr, c'est du bon travail d'investigation et cela démontre que de vrais électrons libres existent encore parmi des journalistes qui auront trimé et échangé des infos pendant près d'une année. Et, le fait que des notoriétés désertant l'impôt de leur pays de résidence puissent être dénoncés est totalement juste. Malheureusement, cet épisode médiatique se fait de manière approximative dans le choix des mots. Quelle déception de voir les médias dénoncer les «paradis fiscaux», cette mauvaise traduction de l'anglais au sens ambigu pour ne pas dire plus. Si le Panama est un paradis, cela veut implicitement dire que les autres pays sont des enfers. Il est vraiment malheureux de qualifier des pays parasites de paradis… Quant à l'emploi du terme «évasion fiscale», il indique implicitement que ceux qui y ont recours cherchent à fuir une prison fiscale. Or, en réalité, ils désertent tout simplement l'impôt, ce lien qui permet de construire une maison commune. Et, nos pontes de l'informel savent très bien de quoi l'on parle… Aussi, entre «enfer» et «paradis», il est bien commode d'attirer l'attention sur des comportements individuels critiquables quand sont cachées les failles infernales, plus fondamentales, du système financier dans son ensemble. En blâmant Messi ou Platini, n'oublie-t-on pas un peu trop vite que ces comportements sont en réalité légaux et possibles grâce à des décisions prises par des chefs d'Etat, gouverneurs, ministres, etc. depuis trois décennies au moins ? En ce sens, la critique de comportements individuels, certes choquants mais légaux, oublie d'inspecter le système qui les a permis. Et, les papiers du Panama ne provoquent pas suffisamment une remise en cause de cette anarchie financière et de ce laissez-passer qui permet aux capitaux des plus riches de déserter les terres où ils ont été récoltés. Il est malheureux de ne pas davantage remettre en cause ce système capitaliste, à plus d'un titre. Cela est d'autant plus inquiétant que les réformettes de la finance, en Europe ou ailleurs, ont toujours accouché d'une souris. Les banques, qui savent où commence et où s'arrête la législation, savent aussi naviguer entre mers, océans et rivières. De la zone euro, aller à Londres, Washington ou Alger, se fait désormais en un seul clic… Finalement, s'il faut saluer ce formidable travail d'investigation qui fait honneur au métier de journaliste, en revanche, il reste beaucoup à faire dans ce monde impitoyable des affaires. Une dénonciation, un peu basique et improductive, n'empêchera malheureusement pas des parasites de proliférer au sein d'un enfer bien réel, celui des requins de la finance.