Est-il une tare que de naître enfant et petit-enfant d'émigré algérien en France ? L'émigration est marquée au fer rouge et subit de plein fouet les aléas politiques qui minent les deux pays. C'est un secret de Polichinelle que d'affirmer que la relation est passionnelle entre le couple Algérie-France. Du coup, la progéniture issue de ce couple subit les humeurs de cette relation et s'ensuit un perpétuel questionnement existentialiste : qui suis-je ? D'abord, les émigrés post-Indépendance, partis en France pour «paver les rues». Leurs enfants ensuite qui eux avaient pour poids «de venger leurs parents du regard dénigrant des Français», et enfin leurs petits-enfants, ceux nés en France, et qui aujourd'hui se retrouvent face à un conflit identitaire majeur. Tout ce melting-pot tiraillé et avec en soubassement un sentiment d'exclusion, n'arrive pas à s'intégrer convenablement. Une véritable problématique pour la France qui compte aujourd'hui un peu plus de 11% d'émigrés. A Paris, nous sommes allés à la rencontre de cette population, de cette troisième génération, qui vit un déchirement entre ses origines et son présent. Emigrés aux yeux de l'Algérie et étrangers aux yeux de la France, les Algériens-Français, les émigrés algériens ou les Franco-Algériens semblent être entre l'opium et le bâton. Reportage. «Mon identité est ce qui fait de moi que je ne suis identique à aucune autre personne», définit Amine Maalouf la notion d'identité. Si simple à dire mais si compliqué à faire comprendre lorsqu'on est confronté, continuellement, à une société qui, tout le temps, vous rappelle que vous êtes un «beur», un «bougnoule», un «indigène»… En France, l'aspect identitaire est tout le temps évoqué. Les premiers, partis en Hexagone pour nourrir leurs familles juste après l'Indépendance, étaient confrontés aux pires tâches pour quelques francs. La majorité n'avait ni la maîtrise de la langue ni du langage administratif. Ils étaient donc montrés du doigt et malmenés, car ils n'étaient pas «chez eux». Le comportement du pays d'«accueil» a nourri un acharnement sans nom chez leurs enfants. «Nous n'avions pour seule arme que nos études», nous disait Hasnia, rencontrée dans un café à la place de la République. De longues études, qui l'ont menée à de hautes responsabilités, étaient pour elle l'unique moyen de défendre ses parents. «Insulter ma mère ou mon père me faisait rager, me donnait parfois même l'envie de me battre et d'user d'une force physique contre ces personnes», confie-t-elle d'une voix résonnant de colère. Comme elle, la plupart de sa génération a bravé, disait-elle, les tempêtes des inégalités et des préjugés et ont frayé à leurs parents une place dans une société qui avait «tout à leur envie». Ils se sont fait, par là, une place à eux aussi, et ont montré qu'«être enfants d'un fellah n'était pas un handicap ni une maladie infectieuse». C'était pour eux une raison de prouver plus que quiconque «d'avoir la possibilité de penser et de réussir». «Nos parents nous encourageaient à aller à l'école, à avoir de bons résultats, sinon ils nous retiraient des classes et nous mariaient très jeunes», raconte Hasnia. Une éducation qui, selon elle, les a incités à se démarquer d'eux et à se hisser parmi les meilleurs. «Si je dois faire un constat, je dirais que notre génération à nous, enfants d'émigrés, avons, pour notre majorité, pu sortir la tête de l'eau», estime-t-elle. Fixant longuement son café des yeux, elle poursuit : «Nous n'avons pas vécu une injustice, au contraire, nous avons défendu fièrement notre identité. Ceci est dû certainement à ce refus de voir nos parents se faire insulter et dénigrer.» «Qui suis-je ?» Un constat qu'elle ne pourra pourtant pas faire à des enfants de la troisième génération, ceux qui ont 25 ans, qui sont nés et ont vécu en France. Une génération de Franco-Algériens mal aimée, déconsidérée, discriminée au banc d'une société qui les a vus pourtant naître. Ils ne sont ni Algériens ni vraiment enfants de la République. Les enfants de parents émigrés, Algériens et Maghrébins, nés en France, sont en effet plus que jamais déboussolés et en manque de repères identitaires. Les derniers attentats terroristes qui ont secoué la France et la Belgique ne sont pas venus pour arranger les choses. Au contraire. Le clou est enfoncé davantage. C'est le constat qu'établit, effectivement, l'Association des Algériens des deux rives et de leurs amis (Addra). Son président, Ayad Yougourthen, affirme que les précédents attentats ont marqué tous les Français, ceux d'origine maghrébine et algérienne notamment. La communauté musulmane est, nous dit-il, «davantage stigmatisée» après ces événements tragiques. «Maintenant que nous venons de vivre les attentats de Belgique et de France, nous avons constaté que les amalgames et les préjugés à l'encontre des musulmans sont plus forts que jamais.» Un fait qui a entraîné, regrette Ayad, un passage à l'acte «violent et discriminant de plus en plus fréquent». Les «beurs», comme on les appelle en France, s'emparent alors de la religion musulmane pour affirmer leur existence. Une planche de salut pour la plupart d'entre eux. L'Islam est plus une identité qu'une religion à pratiquer. «Le drame, nos jeunes ne pratiquent même pas l'Islam convenablement. Ils s'interdisent de consommer l'alcool, par exemple, mais ils fument le hachisch en contradiction totale avec les principes de la religion musulmane», s'indigne un jeune Oranais de la banlieue nord de Paris, Bobigny. La religion,leur seul repère Certains basculent alors dans l'extrémisme et ne font qu'élargir le fossé avec la société française, qui demande, pour sa part, secours au courant de l'extrême droite. Le racisme envers les Arabes et les musulmans, plus particulièrement les Maghrébins, a atteint son paroxysme. En face, l'Etat ne sait plus sur quel pied danser. Hollande revient sur sa décision de la déchéance de la nationalité ; un aveu d'impuissance devant cette situation inédite. Lors de notre tournée à Paris, nous nous arrêtons à La Bastille. 20h à la rue de Lappe, les cafés et terrasses étaient engorgées de jeunes qui viennent terminer leur soirée. Dans l'un des cafés tenu par des Kabyles algériens, nés en France, nous discutons avec certains d'entre eux. Réda pense que la solution des émigrés, «des Franco-Algériens», ne pourra être réglée que si on traitait tous les Français à égalité. Mais, il estime que «les Maghrébins et les musulmans doivent aussi faire des efforts». Réda rappelle que les Maghrébins «ne votent même pas pour les candidats qui les défendent». Il prend une gorgée de thé et poursuit : «Nous avons notre mot à dire, mais on préfère rester à l'écart. Pourquoi on ne soutient pas, par exemple, les communistes qui dénoncent le racisme et nous défendent mieux que nous ne le faisons nous-mêmes ?» La délinquance et le banditisme dans les cités ont pris des proportions alarmantes, à tel point que des intellectuels, enfants d'émigrés, soutiennent cette droite qui les rejette. C'est là le point nodal. «Nous sommes même prêts à voter Le Pen juste pour stopper nos jeunes qui ne cessent de faire parler de nous que dans des sujets qui fâchent», avoue-t-il. Certains pensent carrément revenir à la terre de leurs ancêtres espérant enfin pouvoir être «libres». Mais là encore, aux yeux de leur nation d'origine, ils demeureront à jamais… enfants d'émigrés. Reportage de notre envoyée spéciale à Paris, Thanina Benamer