Au nom de la paix sociale et grâce à l'aisance financière générée par les hydrocarbures, mais en voie d'épuisement, le gouvernement a généralisé les subventions. Directes ou indirectes soient-elles, elles pèsent lourdement sur le budget de l'Etat. L'expert économique et coordinateur général de l'initiative Ibtykar donne son point de vue sur cette question lancinante. Le Temps d'Algérie : L'Etat subventionne un grand nombre de produits de consommation de première nécessité et des services. A la lumière des nouvelles données sur les finances publiques, pensez-vous qu'il est possible de maintenir cette politique ? Sammy Oussedik : Je confirme que la politique de subvention universelle à 360 degrés est intenable. Elle est intenable parce que l'Algérie n'a plus de moyens tant financiers qu'économiques. En effet, d'une part, les recettes d'exportation de l'Algérie se sont effondrées et ne risquent pas, à moyen terme, de retrouver leur niveau de 2008. D'autre part, la baisse historique de notre production et de nos réserves d'hydrocarbures (hors schiste) est une réalité. Elle est aussi intenable car elle a des effets délétères sur l'ensemble de notre économie (poussées inflationnistes, éviction de la production nationale, mode de consommation insoutenable… etc.) Enfin, elle produit des effets inverses au but initial recherché car elle profite, avant tout, à ceux qui n'en ont pas besoin et participe ainsi à creuser les inégalités sociales. Le gouvernement avait annoncé, il y a plus d'une année, la mise en place d'une politique ciblée visant à soutenir les prix. Pourquoi tarde-t-on à appliquer cette politique ? Comment doit-on faire pour bien viser les subventions ? S'il y a bien une attitude qui résume la politique du gouvernement, c'est bien l'immobilisme. Dans un monde qui agit et interagit en temps réel, la fabrique de la décision en Algérie prend des mois, voire des années... lorsqu'elle intervient. Aujourd'hui, face à une situation qui se dégrade très rapidement, il convient de prendre des décisions efficacement et rapidement. Or, sur des sujets cruciaux qui engagent non pas juste ceux qui exercent le pouvoir, aucune décision forte, innovante et permettant d'ouvrir de nouvelles perspectives, n'a été prise. D'autant que ces décisions risquent d'aller à l'encontre de nombreuses clientèles. Pour lever cet obstacle, deux conditions doivent être réunies. La première est de posséder une réelle légitimité et donc une véritable adhésion populaire adossée à un projet politique. La seconde est de remettre L'intelligence dans l'Etat. Non pas juste de l'expertise mais de l'intelligence et du courage politique, bien trop souvent confondus avec la ruse politique. Pour revenir aux subventions ciblées, avant toute mise en place, il convient de faire un diagnostic complet du dispositif existant et élaborer une grille de ciblage pouvant être multicritères (indicateur de richesse, définition du seuil de pauvreté ouvrant droit à la subvention, ciblage géographique...) redéfinir les produits subventionnés mais également aller dans les sous-catégories (essence/GNL/gasoil), définir un mix efficient qui combinerait différentes interventions de types subvention au prix, bon alimentaire, transfert financier... En bref, démanteler une politique de subvention universelle ne suffit pas, il faut penser, en amont, à un nouveau dispositif complexe demandant de l'information statistique, de l'expertise technique mais surtout de la volonté politique.Car, sous la technique se pose, encore une fois, la question politique de comment faire accepter, sans remous, à un peuple économiquement assisté de changer de modèle de consommation qu'on lui a «vendu» ? Est-ce-que le pays risque de se retrouver dans une situation comparable à celle du Venezuela si la crise pétrolière persistait ? Notre situation économique n'est pas bonne et c'est là un euphémisme. La comparaison avec le Venezuela est séduisante car il existe beaucoup de similitudes (économie dépendante de la rente d'hydrocarbures, subventions élevées et généralisées...), cependant, des différences économiques et politiques notables sont à relever (taux d'endettement interne et externe, inflation, rapports tendus avec son environnement international et au premier chef les Etats-Unis, existence d'une opposition unie puissante...). En fait, le Venezuela, en matière de choix économiques, c'est l'Algérie puissance 10. Alors oui, l'on peut, sur bien des points, voir dans la trajectoire du Venezuela comme un avant-goût de notre futur économique mais, pour ma part, je pense que les faibles marges de manœuvres qui nous restent peuvent non pas nous faire dévier de notre propre trajectoire afin d'éviter le choc, mais plutôt d'en réduire l'impact et se préparer à l'après-choc... Cela demande une nouvelle politique menée par des gens compétents nouveaux à même d'incarner l'Algérie de demain.