Le plus grand dramaturge britannique de tous les temps, William Shakespeare, a fait l'objet d'une conférence avant-hier à la salle El Djazair de la Safex dans le cadre du 21e Sila. Issa Islam, docteur en littérature universelle d'entre 1550 et 1750 à l'Université de Grande-Bretagne et Mohammed Kali, journaliste et spécialiste du théâtre algérien, ont conjointement animé cette rencontre sous le titre de William Shakespeare et nous. Pour le premier intervenant, W. Shakespeare n'a suscité l'intérêt littéraire du monde arabe que depuis le 20e siècle. Et pour cause, sa langue d'expression était aussi celle du colonisateur pour la plupart des pays arabes. «Ces pays ne pouvaient s'y intéresser, car opprimés, il a revendiqué plutôt leurs identités nationales et leurs cultures», a-t-il souligné. Il dira aussi en citant un bon nombre d'hommes de lettres arabes que la traduction des œuvres de W. Shakespeare a été et est toujours très difficile. «Le facile- complexe, c'est ainsi que l'œuvre de Shakespeare est qualifiée. Ses pièces étaient pour la plupart écrites sous forme de poèmes, dont la prose unique qui comporte un grand casse-tête pour les traducteurs», a-t-il indiqué. Macbeth, premier arrivé en Algérie De son côté, Mohammed Kali a évoqué Shakespeare à travers le théâtre algérien. Il dira qu'en tout, 16 spectacles shakespeariens ont été adaptés en un siècle d'existence du théâtre algérien, dont treize ont été montés ces vingt dernières années, dont deux par le théâtre universitaire. «La première pièce de Shakespeare montée en Algérie s'est faite à la naissance du théâtre algérien, en 1912, et il s'agit de Macbeth», a-t-il précisé. Il dira aussi que c'est à la faveur de la tragédie nationale dans les années 1990, et c'est pour cette raison qu'un théâtre du questionnement a émergé. Et c'est ainsi que la tragédie et le théâtre de l'absurde d'abord et ensuite le burlesque, que le théâtre de Shakespeare a gagné sa place en Algérie. Toutefois, la question qui mérite d'être posée est de savoir comment les artistes algériens se sont appropriés Shakespeare. Notons d'abord que ce sont essentiellement ses pièces les plus noires qui les ont le plus inspirées, soit douze tragédies (cinq fois Hamlet, trois MacBeth, deux Othello, une Le roi Lear et une Jules César. De l'autre, dans les quatre comédies, il y a La mégère apprivoisée, La nuit des rois, Les joyeuses bourgeoises de Windsor et Le songe d'une nuit d'été, a-t-il fait savoir. Remonter le temps… La plus ancienne version de Hamlet date de 1997, à l'initiative de Mohamed Cherchal, avec la troupe Achbal Aïn Bénian. Adaptée du français vers le dialectal par le metteur en scène, lui-même auteur dramatique, le texte a subi quelques coupes pour des raisons liées à la durée du spectacle mais aussi à la nécessité pour Cherchal de traduire les souffrances d'un intellectuel pris dans les rets d'une société violente, à une période de traque des artistes et des intellectuels. De son point de vue, le personnage de Hamlet est le prototype de l'intellectuel. Il est celui qui doute et qui se pose des questions, antithèse d'Othello, l'homme d'action, qui lui réagit et réfléchit ensuite, a expliqué Mohammed Kali. Concernant MacBeth, le conférencier dira que sa plus ancienne adaptation remonte à la naissance du théâtre algérien. Le souci alors n'était pas de monter Shakespeare en particulier. C'était de fournir, à travers une pièce en langue arabe classique, une visibilité à cette langue niée par le colonisateur. On était à l'époque d'un théâtre dont les pionniers sont des lettrés soucieux de la préservation de l'identité nationale dans ce qui était le plus ciblé en elle. C'est l'Emir Khaled (petit-fils de l'Emir Ablekader) qui, rencontrant Georges Abiod à Paris en 1910, lui a demandé de lui faire parvenir des textes dramatiques. Il reçut de lui trois pièces dont MacBeth, traduite par Mohamed Haft. Aussitôt l'Emir fonde trois associations à Alger, Blida et Médéa. MacBeth est montée à Blida et à Alger. Ce serait un nommé Kaddour Ben Mahieddine El Haloui qui aurait assuré la mise en scène de MacBeth, alors que le père de la miniature en Algérie, Omar Racim, figurait dans la distribution, a indiqué Kali. Pour ce qui est de Othello, il dira qu'elle a été d'abord montée en 1952 dans le cadre de la saison du théâtre arabe au sein de l'actuel TNA. «Le plus étonnant, c'est que c'est Bachtarzi qui l'a mise en scène, lui qui ne brille pas dans la postérité dans ce registre-là. C'était durant la période où il avait cessé de pratiquer le musico-théâtral pour ne présenter qu'une pièce sans la partie concert qui la précédait et pour laquelle son public venait». Othello, c'était surtout pour satisfaire l'intelligentsia qui lui réclame un théâtre d'un niveau qualitativement supérieur. C'est d'ailleurs d'un membre de cette intelligentsia, Tewfik el Madani, qu'il tient l'adaptation de Othello en arabe dialectal avec une intrigue centrée sur le diabolique Yago. Le spectacle a été unanimement loué pour ses qualités ainsi que pour l'interprétation des acteurs, en particulier Mustapha Kateb, Keltoum, Allel el Mouhib et Habib Réda. 64 ans plus tard, en 2016, le second Othello du théâtre algérien est l'œuvre de la compagnie Nawariss de Blida, a indiqué Kali.