Après avoir tourné le dos à l'Afrique 34 ans durant, en quittant l'Organisation de l'unité africaine en signe de protestation contre l'admission de la République arabe sahraouie démocratique, en tant qu'Etat membre fondateur de l'Union africaine, le Maroc s'apprête à adhérer à cette dernière, lors du prochain Sommet de l'Organisation prévu à Addis Abeba les 30 et 31 janvier courant. Il s'agit là d'un virage à 180 degrés de la position du Maroc dans la mesure où les conditions qui l'ont poussé à quitter l'Organisation panafricaine sont toujours présentes. Bien plus, la RASD, membre fondateur de l'Union africaine et porte-étendard de la cause sahraouie, bénéficie d'un capital de soutien et de reconnaissance plus important et plus large qu'en 1984. En témoigne l'élan de solidarité mondial à son égard ainsi que la consécration juridique émanant dernièrement de la plus haute instance judiciaire de l'Union européenne. En outre, la ratification, sans réserves, par le Maroc de l'Acte constitutif de l'Union africaine est un acte par lequel le Royaume remet en cause d'une manière catégorique son attachement aux «frontières authentiques» et à la «marocanité» du territoire du Sahara occidental, deux éléments à la base du retrait du Maroc de l'OUA. Les dirigeants du Makhzen découvrent actuellement des «racines africaines» et une profondeur stratégique dans ce continent auquel ils ont tourné le dos en allant, vainement, taper à la porte de l'Union européenne. Ils font montre d'une amnésie lorsqu'ils qualifiaient, pas longtemps encore, les Conférences africaines de «rassemblements de Tam Tam». Dans ce cas, qu'est-ce qui a changé depuis ? Pourquoi le Maroc insiste-t-il à intégrer l'Union africaine ? Et pour quelles motivations ? Il faut dire que cette manœuvre du Maroc s'inscrit dans une tentative de sortie du bourbier dans lequel le Makhzen s'est englouti depuis 1975, date de l'occupation du Sahara occidental. Durant ces quatre dernières décennies, aucun pays, ni organisation régionale ou internationale, n'a reconnu la souveraineté du Maroc sur ce territoire. Le Plan d'autonomie que Rabat a soumis au Conseil de sécurité, ne trouve pas d'écho, y compris au sein de la classe politique marocaine, de peur que cette stratégie ne réveille les «démons» séparatistes, notamment dans la région du Rif. L'engagement militaire dans le territoire du Sahara occidental a mis à rude épreuve les caisses du Royaume en dépit des rallonges accordées généreusement par les monarchies du Golfe. Une situation qui impacte dangereusement la situation économique et sociale du pays dans une région sous la menace du terrorisme et des sirènes du «printemps arabe». Par ailleurs, la stratégie de la «coopération sud-sud» tentée dans certains pays de l'Afrique sub-saharienne censés relayer la voix du Royaume au sein de l'Union africaine, à coups de millions d'euros provenant des ventes illicites de phosphate du Sahara occidental et du narcotrafic, à travers la «lessiveuse» de Tijaria Wafa Bank, a montré ses limites. Face à cette stratégie marocaine, la citadelle que représente l'Union africaine dans la défense de la cause sahraouie est demeurée inébranlable. Elle se consolide encore davantage et occupe un espace de plus en plus important au sein des Nations unies, où la question du Sahara occidental est en discussion. Les dirigeants marocains ont donc pris conscience du rôle de l'Organisation panafricaine, en décidant d'y adhérer en faisant fi de la «marocanité» du Sahara occidental. Dans ces conditions, quelle crédibilité peut-on accorder à l'intégration du Maroc à l'Union africaine ? Il convient de rappeler que quelques semaines auparavant, le Maroc, avec l'appui de ses alliés du Golfe, avait tenté de saboter les travaux du Sommet Afrique-Monde arabe à Malabo en raison de la présence de la RASD. Il y a une année également, le Maroc avait expulsé la composante civile de la Minurso, dont les représentants de l'Union africaine. Le Maroc avait tout fait pour empêcher le représentant de l'Union africaine d'intervenir au Conseil de sécurité. Il est tout à fait clair maintenant que la volonté du Maroc d'intégrer l'UA n'est pas saine ou dépourvue d'arrière-pensées. Il s'agit tout d'abord d'œuvrer, de l'intérieur de l'Organisation, à l'expulsion, ou du moins le gel de la participation de la RASD. En second lieu, le Maroc est animé d'un désir ardent de revanche à prendre contre l'Organisation panafricaine qui a été un obstacle dans l'accomplissement de la concrétisation du rêve du «grand Maroc» aux frontières mouvantes. Enfin, il exécutera les objectifs d'agendas de puissances extra-africaines dans le but d'affaiblir une organisation qui ne cesse de revendiquer une place dans la gouvernance mondiale. Dr Abdelouahab Saidani, universitaire