L'Américain de 35 ans a surpris, sur 100 m, tout son monde en dominant le sprinter jamaïcain et son jeune compatriote Coleman. Tout avait été prévu pour que la fête soit totale pour Usain Bolt. Tout ? Ou presque. Le presque qui s'identifie à l'aléa auquel on ne s'attendait pas. En fait, la défaite de celui qui est considéré comme le plus grand sprinteur de l'histoire de l'athlétisme. Usain Bolt régnait sans partage sur le 100 m et même sur le 200 m depuis plus d'une décennie. Il était l'étoile filante que ses adversaires ne voyaient plus quand il accélérait son rythme de course. Usain Bolt raflait tous les titres. Il a battu depuis le début de sa carrière sept records du monde seniors (3 sur 100 m, 2 sur 200 m et 2 sur 4x100 m). Il détient, actuellement, trois records du monde : 100 m (9.58), 200 m (19.19) et relais 4x100 m (36.84). Il est le détenteur sur 200 m du record du monde junior (19.93) et de la meilleure performance cadet (20.13). Il a remporté six fois le Trophée IAAF de l'athlète de l'année (2008, 2009, 2011, 2012, 2013 et 2016). Cet homme-là n'avait rien d'un commun des mortels. Le 21 août prochain, il fêtera son 31e anniversaire. Un âge où il a estimé que c'était mieux pour lui qu'il se retire de la compétition. Partir sur une note positive. Partir pour que l'on garde de lui le souvenir de quelqu'un qui n'a jamais été battu hormis l'incident des Mondiaux de Daegu, en 2011, où il avait été éliminé pour un faux départ. Il avait fait de ces Mondiaux de Londres l'ultime rendez-vous de sa carrière sportive et, bien sûr, il comptait bien illuminer de sa classe l'épreuve reine, le 100 m. Il n'avait aucune intention de céder la moindre parcelle de son immense gloire. Tout pour lui et du déchet pour ses adversaires parmi lesquels un certain Justin Gatlin, qui aurait, certainement, trusté beaucoup de titres olympiques et mondiaux s'il n'avait pas rencontré sur sa route le Jamaïcain. Une suspension de 4 ans Justin Gatlin le pestiféré, celui qui est accueilli dans les stades par des sifflets. L'Américain traîne comme une âme en peine la suspension de huit ans qui avait été prononcée à son encontre en 2006 par l'USADA, l'agence américaine antidopage après avoir été contrôlé positif à la testostérone. Il devait être suspendu à vie mais en acceptant de coopérer avec l'USADA, il avait écopé de ces huit années de mise en retrait de la compétition. Après avoir fait appel auprès de la Cour d'arbitrage américaine (le TAS américain), il a obtenu que cette peine soit réduite de quatre années. Quatre longues années au cours desquelles il s'est mis au service de la jeunesse venant des quartiers difficiles à laquelle il a enseigné les rudiments de l'athlétisme. Cela lui a permis de garder un certain rythme et de ne pas perdre ses qualités de coureur. En 2010, à l'issue de sa période suspensive, il s'est remis dans la compétition, et très vite, il a réussi à se hisser parmi les meilleurs mondiaux du sprint. Il est même devenu le meilleur d'entre eux, mais derrière un certain Usain Bolt, qui avait accédé au trône et qui n'était pas prêt à le quitter. Pendant toutes les années qui ont suivi, on a eu droit à des duels entre les deux hommes, tous au profit du Jamaïcain. Lors des derniers Mondiaux, ceux de 2015 à Pékin, Gatlin semblait être en mesure de battre le roi mais ce dernier a su mettre la pression sur son adversaire, avant la finale du 100 m, pour l'emporter («dans la chambre d'appel, raconte Bolt, je m'étais assis à côté de Gatlin et je lui avais dit qu'il n'était pas taillé pour me battre. Cela avait suffi pour qu'il perde de son influx nerveux et qu'il rate sa finale»). Sont, donc, venus ces Mondiaux de Londres où les deux adversaires avaient la particularité de ne pas partager le meilleur temps de la saison sur 100 m. Ce privilège était celui d'un autre Américain, Christian Coleman, auteur d'un 9.82 le 27 mai dernier. Cet athlète avait déjà lancé un sérieux avertissement à Bolt dans la demi-finale du 100 m, en s'imposant devant lui, infligeant au Jamaïcain une rare, mais vraiment très rare, défaite de sa carrière. C'était, alors, le point d'interrogation en vue de la finale. Le Jamaïcain allait-il avoir assez de tonus et de jus pour faire pencher la balance en sa faveur face à cet Américain de dix ans plus jeune que lui ? Un temps de réaction décisif Tout le monde spéculait sur le pronostic de cette finale en misant sur Bolt ou sur Coleman, mais certainement pas sur Gatlin, qui ne semblait pas au mieux de sa forme, lui qui a été battu en demi-finale par le Sud-Africain, Akani Simbine, après avoir réalisé un 10.09 guère encourageant pour la suite. Pourtant, le «vieux» (Gatlin a 35 ans) en avait encore en dessous de la semelle. Celui dont la prononciation du nom soulevait un concert de sifflets, en souvenir de ces années de suspension pour dopage, avait caché son jeu. Au coup de starter de la finale, il a le troisième temps de réaction des huit coureurs en compétition en 0.138 derrière son compatriote Coleman (0.123) et le Jamaïcain, Yohan Blake (0.137). De son côté, Bolt était crédité d'un médiocre 0.183, soit le deuxième plus mauvais temps de réaction de cette finale. Il était arrivé au Jamaïcain de mal démarrer sa course pour parvenir à l'emporter grâce à un finish de grande volée. Mais ce n'est plus le Bolt des années flamboyantes. Samedi soir, il a laissé filer Coleman et n'a jamais pu le rattraper. Mais Coleman ne devait pas être le vainqueur de 100 m désormais historique puisqu'il a été le dernier de Bolt. En effet, celui qui avait été enterré, à savoir Gatlin, n'était pas disposé à brader ses chances. Ce soir-là, il a su trouver assez d'énergie pour venir coiffer sur le fil son jeune compatriote et s'offrir une magnifique victoire qui ne souffre d'aucune contestation (9.92 contre 9.94 pour Coleman et 9.95 pour Bolt). Un succès, hélas, terni par tous ces sifflets qui ont accueilli Gatlin, au moment où il devait effectuer son tour d'honneur alors que tous les applaudissements allaient au vaincu Bolt. Normal c'était son tour d'adieu. L'image forte que l'on conservera de cette folle soirée est celle d'un Gatlin qui, au moment où sa victoire est confirmée sur les tableaux d'affichage du stade, est allé à la rencontre de Bolt pour se prosterner devant lui en signe de respect et de reconnaissance mais, également comme pour se faire pardonner de lui avoir gâché sa fête d'adieu. Rien que pour cela, Gatlin mérite tous les applaudissements du monde.