Le professeur à l'Université d'Alger III et consultant en économie, Farès Mesdour, décortique dans cet entretien les décisions prises dans le Plan d'action du gouvernement d'Ouyahia, adopté par la majorité parlementaire jeudi. Mesdour, qui voit d'un bon œil le recours à la finance islamique et le maintien de la subvention jusqu'à 2019, s'est montré plutôt critique quant au recours au financement non conventionnel. Selon lui, il existe d'autres mécanismes pour parer à la crise financière aiguë que traverse notre pays. Le temps d'Algérie : Le gouvernement vient d'opter pour le recours de la finance islamique comme un moyen parmi d'autres pour assurer les liquidités aux banques. Pensez-vous que cette mesure sera efficace pour redonner confiance ? Farès Mesdour : La finance islamique sera introduite au niveau de deux banques publiques en 2017. Il s'agit du CPA et de la BNA, où j'interviens personnellement pour la mise en place de ce système financier basé sur les principes de la chari'a. Ces banques vont financer en premier lieu sur la base du principe de la «murabaha», les crédits à la consommation destinés à encourager le produit local, comme l'électroménager et les voitures, ou encore l'achat de matériel médical. Quatre autres banques publiques adopteront la finance islamique d'ici 2018. Il faut rappeler que la finance islamique est fondée sur le principe de la marge bénéficiaire. Elle interdit la pratique de l'intérêt et prône la «murabaha» et les «sukuks» entre autres. Elle permettra, sans aucun doute, l'absorption d'une importante masse monétaire de l'informel. En effet, plusieurs entreprises refusent de bancariser leur argent pour une raison ou pour une autre. C'est le cas de certaines entreprises spécialisées dans les télécommunications et le commerce. Notons aussi que le secteur économique parallèle emploie un nombre important de travailleurs presque au même titre que celui du marché du travail formel. La masse monétaire qui y circule et qui peut être bancarisée demeure importante. Les 4 autres banques devront intégrer les «sukkuk» dans leurs systèmes qui consistent en l'achat d'obligations sans taux d'intérêts, mais avec une marge de bénéfices à gagner. Ceci va inciter les plus réticents à mettre leur argent dans les banques publiques, mais n'est pas suffisant pour alimenter le marché bancaire. Il faudrait aussi supprimer ou faire baisser le taux de réserves obligataires pour les banques, qui est actuellement de l'ordre de 7% à 1%. Le premier ministre Ahmed Ouyahia a annoncé le maintien de la politique de subvention jusqu'à 2019, alors que certaines parties ont appelé à sa révision. A-t-on les mécanismes permettant le «ciblage» réel des personnes dans le besoin ? On ne dispose pas d'autres choix. Il est très difficile de procéder au ciblage des familles démunies. J'ai eu à soulever cette question avec l'ex-ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa de la difficulté de déterminer réellement les personnes qui sont dans le besoin, car on ne dispose pas de statistiques précises sur la pauvreté en Algérie. Il faut commencer par se doter d'une base de données très déterminées et ensuite mettre en place une cartographie numérique sur la pauvreté. Un travail de proximité est de mise. Des cellules au niveau des communes et équipées d'une base de données numériques, chargées de faire des statistiques d'investigation, comme on le fait pour le recensement sont indispensables. Un travail qui nécessite au moins trois ou quatre ans. Comme la conjoncture financière actuelle ne permet pas d'attendre, il faudrait plutôt opter à choisir les produits à subventionner et changer le type de subvention à adopter. Au lieu d'une subvention à 100% par exemple, il faudrait aller vers un taux de 70%, 50% jusqu'à 10%. Ouyahia a fait savoir qu'il faut au minimum 200 milliards DA au trésor pour assurer les besoins du pays pendant un mois. Hormis la fiscalité, avons-nous d'autres mécanismes pour renflouer les caisses du Trésor public ? D'abord, je tiens à contredire les chiffres avancés par le Premier ministre sur les crédits octroyés aux jeunes dans le cadre des dispositifs Cnac, Angem et Ansej et qui n'ont pas été remboursés. Les chiffres sont complètement erronés. Ils ne reflètent pas la réalité. Le Premier ministre a avancé aussi le chiffre de 2500 milliards de dinars de fiscalité non recouvrée, alors qu'elle représente au moins le triple. Pour répondre à votre question, nous avons d'autres moyens pour renflouer les caisses de l'Etat, mais il nous manque la volonté politique. C'est facile de recourir à l'amnistie fiscale conditionnée, consistant à réduire de 50% le niveau des dettes d'impôts impayées à ceux qui s'engagent à les payer avant la fin de cette année et/ou de 70% pour ceux qui le feront dans les six premiers mois de 2018. Notre pays doit être attractif pour les investisseurs notamment ceux issus de la diaspora algérienne à l'étranger. Il faut leur ouvrir les portes de l'investissement en réduisant le taux des impôts à 5% au lieu des 26% exigés. Les investisseurs étrangers savent très bien que l'Algérie est leur porte vers l'Afrique. Pourquoi ne pas mettre en place des mécanismes pour les inciter à investir, par l'ouverture des zones franches au niveau des frontières ? Le recours au financement non conventionnel a été défendu une nouvelle fois par Ahmed Ouyahia. Il est presque sûr de la réussite de ce dispositif. Quel est votre avis ? Nous sommes confrontés à une situation inédite. Ils veulent à tout prix qu'on aille emprunter au FMI, alors que des mécanismes existent pour remonter la pente. Cette mesure de planche à billets nous mènera droit au mur. Plusieurs puissances mondiales avaient recouru, lors de la crise financière mondiale de 2008, à ce mode financement, mais il s'agit d'économies productives. Ce qui n'est pas notre cas. Nous n'avons ni une économie productive, ni de savoir, ni de service, ni de rien d'autre, à l'exception du secteur des hydrocarbures. La planche à billets va enfler le taux d'inflation et provoquer la dépréciation du dinar face aux monnaies étrangères. Nous n'avons qu'à voir la situation actuelle du dinar au marché parallèle. Il suffit juste de recouvrir nos placements au niveau des banques américaines qui sont de l'ordre de 40 milliards de dollars avec un taux d'intérêt de 2% ou bien ceux placés au Japon et à la banque centrale de l'Union européenne ainsi que les 5 milliards de dollars prêtés au FMI.