Le contraste est saisissant. En parcourant des villages de différentes localités de la wilaya de Tizi Ouzou, on se rend à l'évidence que, dans son ensemble, la Kabylie s'enfonce chaque jour un peu plus dans une insalubrité qui ne dit pas son nom. C'est presque une fatalité. Les populations sont tellement résignées à vivre dans cette insalubrité au point où cela n'offusque plus personne. Cela s'apparente même à une sorte de résignation à vivre dans un environnement menaçant. Maintes fois soulevée avec des interpellations récurrentes émanant du mouvement associatif, des comités de quartiers, des villages, de la presse qui a épisodiquement tiré la sonnette d'alarme, cette lancinante question se pose toujours avec plus d'acuité, aujourd'hui plus qu'hier et certainement moins que demain. Rien ne semble en effet être en mesure se stopper cette malédiction qui bouffe tous les espaces, jusqu'au corps. Les villageois retroussent les manches Dans ce qui s'apparente à une ultime tentative de sauver ce qui reste et limiter au moins les considérables dégâts, les habitants de plusieurs villages optent désormais sur le compter-sur-soi pour faire face à la situation qui ne semble admettre aucune explication. Le week-end dernier a été particulièrement marqué par des actions de volontariat à l'initiative des comités de villages te des autorités locales qui, sans moyens, ne peuvent rien sans la solidarité et la volonté des administrés. Las d'attendre des actions des pouvoirs publics, les villageois décident donc de retrousser les manches et de balayer au moins dans les environs immédiats des habitations, des rues, des fossés transformés en d'immenses décharges qui défigurent les paysages et renseignent sur l'indigence dans laquelle plonge cette région qui, naguère, était un modèle de propreté. De village Thala Khellil à Béni Douala en passant par les onze villages que compte la commune d'Ath Aïssa Mimoun, le week-end était au volontariat. Un volontariat pour vivre propre. A Thala Khellil, c'est au moins le troisième consécutif que les habitants, les travailleurs y compris, s'efforcent pour se donner un environnement direct, propre, vivable. On déblaie, on nettoie, on lave, on essarte. Tout cela sans compter sur qui que ce soit. Juste la volonté villageoise. Le résultat est là. Les habitants affichent une mine du devoir accompli. Les rues sont propres, les fossés débarrassés des détritus. A Ath Aïssa Mimoun, ce sont aussi les habitants de onze villages qui ont décidé de prendre leur destinée en main. Aidés par les autorités locales, ils ont lancé une opération qui s'apparente au nettoiement des écuries d'Augias vendredi dernier. Des tonnes et des tonnes de détritus, de bouteilles en verre et canettes de bière, etc. on été collectées en une seule journée. Des actions similaires sont organisnées un peu partout. Une fatalité ? Le tableau que dresse le commun des mortels ne peut être que des plus sombres et des plus alarmants sur l'insalubrité publique. Cela se vérifie juste par l'image que nous renvoient les abords des chemins de wilaya, des routes nationales et communales transformés en d'immenses décharges où sont déposées, pêle-mêle toutes sortes de déchets allant des bouteilles et canettes de bière, en passant par les ordures ménagères et autres produits dangereux. C'est invraisemblable, ces spectacles désolants qui agressent la vue, le corps et l'esprit. Les mots d'une petite fille, Céline, âgée de neuf ans, résument à eux seuls l'étendue du drame. «Les gens n'ont aucune notion de l'environnement et personne ne pense à adopter le bon geste. Ils ont assassiné la nature», dira-t-elle dépitée. Pis encore, depuis toujours,un véritable aveu d'incapacité des pouvoirs publics à prendre en charge cet épineux problème qui, à moyen ou long termes, risque de provoquer une catastrophe sanitaire au niveau de cette wilaya qui, jadis, appelée la petite Suisse, offre aujourd'hui une image souillée et ternie par l'insalubrité. Malgré les efforts consentis, notamment par les populations, la situation n'a pas évolué d'un iota, car une fois un lieu nettoyé, il est vite remis en l'état, pour ainsi dire. Cela dure depuis toujours. Faut-il faire intervenir les services de sécurité ? En octobre 2015, lors d'une session de l'APW de Tizi Ouzou, le président de l'assemblée avait souhaité l'intervention des services de sécurité pour faire face à l'incivisme des citoyens qui relèguent, à leur tour, la question environnementale à néant. Cette proposition n'a jamais eu de suite. Aujourd'hui, plus que jamais, il est temps de pénaliser lourdement les pollueurs. «L'incivisme du citoyen doit être suivi de la rigueur des services de sécurité qui ont pour mission de sécuriser l'environnement dans l'ensemble de ses acceptations», estime-t-on. Pour ce faire, il est préconise d'identifier les fautifs, les coupables de dégradations sur l'environnement et sanctionner comme on sanctionne tout acte allant à l'encontre de l'ordre dans la société. L'Etat par ses services doit être présent et la loi doit être appliquée dans toute sa rigueur. Un autre fait aggrave la situation. En plus que les autorités locales n'arrivent pas à faire face au phénomène de la collecte des déchets, les oppositions à la réalisation de centres d'enfouissement technique aggravent grandement cet état de fait. Il est à rappeler que la wilaya de Tizi Ouzou a bénéficié de cinq projets d'équipements destinés à la promotion de l'environnement mis à mal par les déchets domestiques à Tizi-Ouzou. Ils devaient être réceptionnés il y a deux ans; cependant, rien n'y fit. Aujourd'hui, l'insalubrité est partout. Elle est au seuil des habitations. Aussi bien en centres urbains qu'en milieu rural, le décor est presque, à bien y regarder, le même. Tiferdoud, Laghrous, Iguersafen, Zoubga: Des exemples à méditer Aujourd'hui, s'il est établi que de telles opérations ne suffisent pas à elles seules à changer les choses, d'autres espoirs commencent à prendre forme. La protection de l'environnement est aussi et avant tout une façon d'être, de vivre. Pour ce dernier concept, un espoir subsiste et fait même son bonhomme de chemin. Les exemples que tous les autres villages doivent méditer nous viennent de certains villages qui font honneur à leur environnement, direct, à vouloir vivre propre et donner l'exemple. C'est le cas du village Tiferdoud, dans la commune d'Abi Youcef, connu pour être le village le plus haut de Kabylie car perché à 1 200 mètres d'altitude, la propreté n'est pas un vain mot. «On peut même s'allonger par terre sans risque de salir ses vêtements», ironise Ali, grand admirateur de ce qui a été fait dans ce village. Ce village comme tant d'autres honore toute la Kabylie, celle-là même connue pour sa propreté, sa beauté qui a même inspiré les poètes. Comme Tiferdoud, d'autres villages, à l'instar de Laghrous, à Mekla, Iguersafen dans la commune d'Idjer, Zoubga, dans la commune d'Illitène sont tellement reconnus pour leur propreté, leur fonctionnement rigoureux qu'on n'hésite pas à les qualifier aujourd'hui de «petites républiques». Il est vrai que ces villages méritent ce qualificatif. Il y fait bon vivre. La solidarité citoyenne n'est pas une règle, c'est une façon de vivre. Respecter l'autre, respecter son environnement et le défendre, veiller à la quiétude des uns et des autres, se solidariser, travailler pour le bien-être de la communauté villageoise, sont autant de principes respectés à la règle. Si ces villages et tant d'autres encore se distinguent, rien n'est tombé du ciel. Tout est venu de la volonté des villageois qui aspirent à vivre du mieux qu'ils peuvent.