Le recours à la finance islamique décidé récemment par les autorités publiques constitue un tournant en Algérie. Les premières opérations bancaires de la finance islamique devraient être lancées par certaines banques avant la fin de l'année 2017, tandis que les autres établissements devront suivre au cours de l'exercice de 2018. Le premier ministre Ahmed Ouyahia a annoncé lors de son passage à l'APN que l'Etat compte développer la finance islamique en précisant que deux banques publiques sont concernées avant fin 2017 et quatre autres banques publiques en 2018. Les cadres des banques publiques ont bénéficié dans le cadre de ce projet de cycles de formation et de préparation afin de diversifier les produits et de satisfaire la clientèle potentielle. L'introduction de la finance islamique dans le paysage bancaire du pays devra contribuer à la bancarisation, au drainage d'épargne et de financement de l'investissement. Fondée sur les principes de la loi islamique interdisant l'intérêt sur l'argent prêté, ce mode de financement est adapté aux clients algériens qui continuent à bouder le secteur bancaire classique pour ces raisons. En effet, la finance islamique se distingue des pratiques financières conventionnelles par une conception différente de la valeur du capital et du travail. La finance islamique se base sur la rentabilité financière d'un investissement. Ses produits sont structurés en conformité aux principes de la Charia, interdisant «la pratique des taux d'intérêt». Parmi les autres principes de la finance islamique, on peut aussi citer l'interdiction de financer certains secteurs jugés illicites (armement, porc, alcool), le partage de profits et des pertes entre les participants à une transaction financière et l'exigence d'un actif tangible. Quant aux produits de la finance islamique, il existe les sukuk (obligation dans la finance conventionnelle), les murabaha (achat-vente), les ijara (équivalent du leasing) et les musharaka (équivalent du capital risque). Aujourd'hui, l'Algérie compte deux importantes banques basées sur les principes de la finance islamique. Il s'agit de Al Baraka Bank, filiale d'un groupe saoudien et qui a fait son apparition en 1991 et d'Al Salam Bank Algérie (issue d'un groupe émirati lancé début 2009. L'activité des banques islamiques est codifiée par la loi sur la monnaie et le crédit et les textes d'application de la Banque d'Algérie contiennent des textes législatifs visant à réguler les produits bancaires proposés par ces établissements. A l'échelle mondiale, la finance islamique s'est développée de manière très rapide au cours des dix dernières années. Sa croissance est de l'ordre de 10 % annuels au cours de la dernière décennie. Le nombre d'institutions financières islamiques dans le monde est passé d'une seule en 1975, à plus de 300 aujourd'hui et dans plus de 75 pays. Cette forme de finance est essentiellement pratiquée dans les pays du Moyen-Orient qui, avec quelque 400 milliards de dollars, représentent presque la moitié de son encours total. Par ailleurs, on note depuis cinq ans une accélération significative de son encours. Selon les projections d'Ernest&Young, il pourrait atteindre plus de 4500 milliards de dollars en 2020. Plusieurs pays occidentaux s'y intéressent car elle présente des caractéristiques intéressantes en matière de transparence et de régulation bancaire. Sur ce point, le Royaume-Uni fait office de précurseur. Boualem Marrakech, président de la Confédération algérienne du patronat: «Rien ne dit que ce type d'opération va fonctionner» «Il n'y a rien d'extraordinaire dans ce type d'opération (la finance islamique) lancée en grande pompe. Ce n'est qu'un produit bancaire parmi tant d'autres comme il en existe par centaines. Et comme tout produit bancaire, le financement islamique peut en effet intéresser un certain nombre de clients. Mais croire que ce «système» peut contribuer à redynamiser la vie économique, c'est aller vite en besogne. Il ne s'agit nullement d'une démarche capable d'entraîner une dynamique nouvelle dans l'économie nationale comme on tente de nous le faire croire. On a jugé qu'il y avait de l'argent à ramasser chez des «clients» réticents à déposer leur argent dans les banques dites classiques et on essaie de les entraîner vers d'autres banques en leur proposant un produit dit «hallal». Dans le fond, qu'on soit musulman, athée ou agnostique, le système financier s'en soucie très peu. L'essentiel pour lui est de ramasser ce capital. Je ne dis pas qu'il faut le rejeter, loin de là. Mais, en même temps, rien ne dit que ça va marcher. Pour la simple est unique raison que ces clients potentiels n'ont aucune confiance dans l'institution financière. Dire, par conséquent, que ce type de financement contribuera à booster l'économie nationale, c'est être loin des réalités algériennes. La création de richesse passe par l'entreprise. Ce n'est pas à travers des mesures conjoncturelles qu'on peut réussir à donner de la vitalité à l'économie d'une nation. Nous n'avons même pas un système bancaire et financier capable d'assurer normalement son rôle. Notre économie manque cruellement d'efficacité opérationnelle. Je pense qu'il faut s'engager en urgence dans une démarche plutôt structurelle intelligente qui, elle-même, doit passer par le développement de l'entreprise». Abd Errahmane Benhamadi, PDG de Condor: «Le financement islamique peut intéresser beaucoup de clients» «C'est un produit bancaire qui peut intéresser un certain nombre de clients. Il a déjà fait ses preuves ailleurs dans le monde, au moyen et proche-orient notamment. Il est déjà applicable en Algérie, avec la Baraka bank, mais à une très petite échelle comparativement aux pays du Golfe. En définitive, je pense que si ce moyen, la finance islamique en l'occurrence, peut ramener de l'argent dans les caisses des banques, alors pourquoi pas ! Je crois que c'est une mesure destinée à cette fin justement. Il y a beaucoup d'Algériens qui sont rétifs au système bancaire conventionnel à qui l'on reproche la pratique de l'usure (riba). A travers le financement islamique, beaucoup de gens pourront être intéressés. Cependant, à mon avis, il ne faut pas que cette nouvelle introduction bancaire entrave de quelque manière que ce soit le système conventionnel dit classique. Il faut laisser le choix aux clients. C'est à eux d'opter pour un système ou un autre. Me concernant, en tant qu'opérateur économique, je ne vois pas une grande différence entre les deux. Le plus important est de mettre des garde- fous pour le nouveau système pour éviter toute mauvaise surprise. Il faut aussi expliquer aux potentiels clients le fonctionnement de ce système. Les clients doivent être bien informés».