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Replonger dans l'histoire et l'anthropologie
Publié dans Le Temps d'Algérie le 15 - 11 - 2017

Colloque international dédié à Mohammed Brahim Salhi à l'UMMTO
Le département de langue et culture amazighs de la faculté des Lettres et des langues de l'Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, en collaboration avec la Direction de la culture, a organisé deux jours durant, dimanche et mardi derniers un important colloque international auquel ont pris part des chercheurs venus d'université étrangère, notamment des USA, d'Angleterre, du Japon, de France et ceux des universités de Tizi Ouzou, Khenchela, Constantine et Blida.
Cet important colloque, placé sous le thème: ‘Savoirs et renouvellement des connaissances socio-anthropologiques et historiques sur le Maghreb' a été organisé à la mémoire du professeur Mohammed Brahim Salhi.
Dans son argumentaire, le coordinateur scientifique du colloque, en l'occurrence, le Pr Mohand Akli Hadibi, a expliqué que «depuis l'indépendance de l'Algérie, l'anthropologie, la sociologie et l'histoire se sont retrouvées – plus d'une fois – à la croisée des chemins pour s'interroger sur leurs objets, concepts, théories et méthodes d'investigation. Elles ont amorcé et développé depuis lors un travail sur elles-mêmes, c'est-à-dire une démarche d'auto-évaluation des savoirs accumulés, mais surtout des présupposés culturels et idéologiques qui leurs étaient associés dans le but de se donner une légitimité d'abord académique puis sociale face au politique. (Fawzi Adel, 1999)». il expliquera ensuite que «partant d'un héritage conceptuel colonial encombrant, à savoir la science du dominant sur un objet scientifique qui était la société dominée, la socio-anthropologie et l'histoire ont éprouvé beaucoup de difficultés à se débarrasser des présupposés ethnocentriques qui les avaient vus naître et se développer».
C'est pourquoi, ajoute-t-il «elles ont vécu alors un véritable dilemme consistant en la tentative de concilier la nécessaire rupture avec cet héritage et l'impératif d'en faire un bon usage (Fanny Colonna, 1987). Les porteurs de ces disciplines se sont, donc, attelés, avec des degrés d'implication contrastés et plus ou moins aboutis, à un véritable travail de ‘nettoyage conceptuel' visant à débarrasser la nouvelle société algérienne des clichés et stéréotypes dans laquelle la science coloniale avait voulu l'enfermer». Poussant son analyse encore plus loin, il écrira encore que «devant ce défi heuristique, qui nécessitait la mobilisation de ressources conceptuelles et méthodologiques considérables, force est de constater que la génération de sociologues et d'anthropologues de l'indépendance a joué un rôle déterminant». Ayant été formée dans le moule des institutions académiques françaises, avec tout ce que cela implique comme formatage idéologique, mais aussi comme effort de distanciation par rapport aux discours dominants, c'est cette génération qui a pris en charge, la première, la tâche ingrate de scruter, de critiquer et de discuter les sources et la fabrication des savoirs produits sur les sociétés «indigènes» par des «non-indigènes». Ayant vécu la transition politique radicale qu'était l'indépendance du pays, ces auteurs, dans leurs diversités disciplinaires et leurs parcours intellectuels, ont été les pionniers de ce travail Page 2 sur 4 d'intériorisation du regard des Algériens sur leur propre société. (Mohand Cherif Sahli, Mustapha Lacheraf, Mahfoud Kaddache, Fanny Colonna, Mohammed Arkoun, Mouloud Mammeri, M'hammed Boukhobza, etc.). Ces intellectuels ont de ce fait marqué les limites du savoir ethnologique et historique colonial, posé de nouveaux jalons épistémologiques et questionnements et construit de nouvelles pistes de recherche.
Leur précieux travail de remise en question des paradigmes à travers lesquels étaient construits les savoirs sur l'Algérie, leur prise en charge des bouleversements vécus par la société et les groupes locaux dans leur diversité et leur complexité ont à leur tour contribué à alimenter la réflexion sociologique et anthropologique et à former les nouvelles générations de chercheurs post-indépendance.
La profusion de travaux académiques – menés sous la forme de thèses et/ou de projets de recherches proprement dits observés dans les différentes institutions académiques et de recherches algériennes ces vingt dernières années – montrent en effet un véritable effort de renouvellement, parfois chaotique et non systématisé, des questionnements, des outils conceptuels et des démarches méthodologiques. «Et c'est justement le désir, maintes fois exprimé par le regretté Mohammed Brahim Salhi, de réaliser un état des lieux critique de cette nouvelle production scientifique, censée être un peu plus endogène et libérée du lourd poids de l'héritage conceptuel colonial que nous proposons de réaliser dans ce colloque».
L'ensemble de ces éléments ont été suffisants pour penser qu'il est «temps de regrouper des chercheurs autour de ces disciplines, toutes spécialités confondues, afin de mettre en lumière les apports, lorsqu'ils existent, des différents travaux éparpillés portés à l'endroit des limites opérationnelles des concepts et théories dominantes, des notions nouvelles introduites».
Des thématiques revisitées
Cette importante rencontre qui a, pour ainsi dire, constitué l'événement majeur à l'université de Tizi Ouzou au début de cette semaine a permis de revisiter des thématiques, de mettre en évidence les nouveaux objets en construction, des nouvelles grilles d'analyses émanant de ces efforts soutenus de connaissance de la manière selon laquelle notre société, dans sa diversité et ses ancrages de proximité, se reconstruit et se réinvente.
Le colloque a aussi traité des savoirs et des renouvellements des connaissances autour d'importants axes dont : «Groupe, individu, formes émergentes de l'individu et construction de la citoyenneté ; Mouvements de contestations sociales et identitaires ; Evolution des approches du fait et de la pratique religieuse, de l'oralité et de l'écriture ; Savoirs et transmission des savoirs dans les systèmes traditionnels d'enseignements et/ou de l'école publique ; Les approches du patrimoine bâti en rapport avec la gestion du village et de la ville ; Le développement local entre logique culturelle, logique rationnelle et le degré de leur emboîtement».

Communications de haute facture
Deux jours durant, doctorants, chercheurs, étudiants etc, ont eu à suivre une série de communications, aussi importantes les unes que les autres.
Hugh Roberts de Tufts University USA a dans une communication intitulée : «Arsh, Thaddart, Tufiq : le politique comme facteur constitutif de la communauté dans la Kabylie coloniale» dira en substance «Avancée comme clé d'analyse des systèmes politiques berbères, la théorie de la segmentarité, aussi bien dans les versions adaptées de Bourdieu et Favret, insiste sur la parenté comme facteur constitutif de la communauté dans la société qualifiée de ‘villageoise' (Marizot), de la Grande Kabylie».
Hugh estime cependant que ces théories « n'ont pas tenues compte de la variété des formes de communauté kabyle.
Pour ce chercheur américain, en dessous du niveau des arsh, existaient, pas une seule, mais trois formes bien distinctes de collectivités villageoises.
Il s'agit du «petit thaddart» des arsh du nord-ouest de la Grande Kabylie (Bordj Ménaïel) : le tufiq défini par l'auteur comme un ensemble de hameaux associés dans une unité politique gouverné par une seule jemaa au sein de laquelle tout hameau avait son répondant, ce qui était au fait la forme dominante dans toute la Grande Kabylie à l'exception du Djudjura central et oriental, et la grande Thaddart qui ‘était typique que de cette dernière région et donc de la société des Igawawen.
Le conférencier ajoutera que «c'était le politique et non la parenté qui était le facteur constitutif, non seulement du tufiq kabyle et de la grande thaddart des Igawawen, mais aussi du arsh à travers la Grande Kabylie toute entière».
D'autres communications dont celles animées par Rabah Kahlouche de l'UMMTO sous le thème ‘Les déterminants socio-historiques de l'emprunt linguistique du kabyle (berbère) à l'arabe', ou encore de Chaker Kahina de l'Université de Blida qui a développé un important thème, à savoir : ‘Les vieilles femmes dans l'espace villageois kabyle 1954-1962 : récits de la mémoire collective de la période révolutionnaire' ou encore de ‘Halit Sadjia', toujours de l'Université de Blida sous le thème : ‘La fontaine kabyle : un patrimoine en mutation' ont été de véritables sources de savoir pour l'assistance. La conférencière observera que «ces dernières années un retour aux sources a été observé dans beaucoup de villages» et que les villageois «se sont réappropriés ces espaces allant même vers leur réhabilitation et leur réaménagement. Elle se demandera ensuite le pourquoi de ce soudain retour aux fontaines en se posant la question : «Est-il un besoin ou juste une prise de conscience de l'héritage culturel ?»
Elle ajoutera en substance et dans son analyse de cette constatation : «des observations, des questionnements et des entretiens, (nous) ont permis d'éclairer un peu mieux cet état de faits. La réincarnation de cette pratique et ce retour aux fontaines est le fruit de plusieurs facteurs socio-économiques, culturels et environnementaux qui se complètent entre eux.»


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