Jamais depuis l'Indépendance, l'Algérie n'a réussi une telle performance : la récolte céréalière atteindra cette année quelque 60 millions de quintaux, une prouesse qui incitera certainement les responsables du secteur à envisager d'autres mesures pour maintenir ce niveau de production. Les prévisions du ministère de l'agriculture et du développement rural tablent cette année sur une production céréalière exceptionnelle. Rachid Benaïssa a même osé parler d'une récolte «jamais réalisée depuis l'Indépendance» qui dépasse les prévisions les plus optimistes des cadres de son secteur. On s'attend en effet à l'ensilage de plus de 60 millions de quintaux, soit trois fois la quantité de céréales récoltée l'année dernière où la production, jugée médiocre, a chuté à 21 millions de quintaux après le bond qualitatif de 2007 qui a vu une récolte de 41 millions de quintaux. Pour le ministre de l'agriculture, cette performance est due surtout à des conditions climatiques très favorables. Les pluies abondantes de l'automne, au moment de l'emblavement des superficies réservées à la céréaliculture, et les giboulées de mars lors de la poussée végétale printanière ont hissé les niveaux de production à des seuils record. Dans les plaines sablonneuses du sud, où l'utilisation des pivots s'est généralisée, permettant l'irrigation de plusieurs hectares de terres parfois en plein désert, les rendements dépassent les 50 qx à l'hectare, atteignant dans quelques régions du Touat et du Gourara des pics de 80 à 85 qx à l'hectare. Cette prouesse remet au goût du jour la politique d'appropriation foncière par la mise en valeur et une nécessaire réflexion sur le devenir de l'agriculture intensive dans les zones sahariennes. Au nord, dans les grands bassins céréaliers que sont les plaines intérieures, les hautes plaines et les dépressions steppiques, les résultats, quoique mitigés en certains endroits, ont de quoi redonner espoir aux cultivateurs, souvent victimes d'aléas naturels préjudiciables à leur activité. Les taux de 40 à 50 qx à l'hectare réalisés dans ces zones tranchent singulièrement avec les ridicules moissons des années précédentes où le rendement dépassait à peine les 10 qx à l'hectare, ou une vingtaine au plus, dans des plaines profitant pourtant de précipitations appréciables. Le défi du renouveau agricole et rural Au ministère de l'agriculture, on observe une attitude prudente. Tant que la campagne n'a pas encore été achevée, il n'est pas question de céder à l'euphorie, avoue une proche collaboratrice de M. Benaïssa. Certes, l'on est convaincu qu'en plus de la régularité et de l'abondance des pluies de la saison 2008 - 2009, les mesures incitatives ont participé à cette récolte miraculeuse. Décidées dans le cadre de la politique du renouveau agricole et rural, un défi qui engage la crédibilité de l'Etat mais aussi celle, personnelle, de son initiateur et principal défenseur, le ministre de l'agriculture, ces mesures portent sur l'exonération de la TVA sur les semences, les engrais et les herbicides, la mise en place du crédit sans intérêts ««R'fig» et le maintien des prix à la production décidés par le gouvernement en 2008, à savoir 4500 DA/quintal pour le blé dur, 3500 DA/quintal pour le blé tendre et 2500 DA/quintal pour l'orge. Un véritable «cadeau» de l'Etat aux céréaliculteurs nationaux eu égard à la baisse sensible des prix des céréales sur les marchés mondiaux. L'accélération des procédures et la réduction des délais de paiement des céréaliculteurs, 72 heures tout au plus, par les Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS) a, elle aussi, contribué à améliorer les relations entre les producteurs et ces coopératives, souvent critiquées par les céréaliers pour leurs lenteurs bureaucratiques. Contraintes majeures Malgré l'optimisme des responsables du secteur, le souci demeure grand de voir la production de quelques régions compromises par le manque de moissonneuses-batteuses, comme à El Bayadh ou Tissemsilt, pour ne citer que ces deux wilayas, et les risques que peuvent entraîner d'éventuels orages qui pourriraient la récolte ou de probables incendies qui viendraient à bout des efforts des fellahs. Les appréhensions concernent aussi les régions montagneuses à fort potentiel céréalier où la moisson s'effectue encore à la faucille, à l'exemple des collines de Chlef et des monts abrupts de Kabylie ou du Titteri, régions où les ouvriers agricoles et les saisonniers exigent des propriétaires terriens des rémunérations astronomiques, eu égard à la dureté de la tâche. Ce phénomène a tendance à s'aggraver au fil des années. S'il persiste, il est probable qu'il entraînera l'abandon pur et simple de la céréaliculture de montagne. Autre défi de l'heure, l'ensilage de la production. Des instructions fermes ont été données par la tutelle pour inciter les agriculteurs à confier la totalité de leurs récoltes aux CCLS, une gageure dans un pays où la spéculation fait rage sur certains produits céréaliers entrant dans la composition de l'aliment du bétail, l'orge notamment. Les prix proposés par l'Etat seront-ils suffisants pour contrer la mafia qui a investi durablement ce créneau ? A voir…