Commettre un délit est en soi déjà une catastrophe. Deux, vous devinez la suite de ce qui va suivre. La colère est mauvaise conseillère, a-t-on toujours soutenu. Ce samedi, elle mène en taule. L'avocat s'est échiné. Maître Laïdat a fait son boulot, Derbouchi, le reste... L'automne serait-il la saison à malentendus, à quiproquos, à divers délits entre gens civilisés, éduqués, voire aisés ? A en croire le rôle du tribunal de Bir Mourad Raïs (cour d'Alger), c'est plutôt oui. Vers les dix-heures vingt, Tahir Y., un beau jeune homme est appelé à la barre. Le brigadier chargé des détenus l'accompagne. A deux mètres, une jeune étudiante psalmodie des versets du Coran au passage de son tonton inculpé de menaces et destruction de bien d'autrui. Il a le visage complètement déformé par les tuiles qui lui sont tombées sur le crâne et notamment l'inévitable et désagréable détention préventive. A sa droite, se tient la victime, une victime debout, la tête haute, le regard profond et les phalanges dissipées. Il apparaît selon les débuts menés de main de maître par cette sublime Saloua Makhloufi Derbouchi, la présidente de la section pénale du tribunal de Bir Mourad Raïs (cour d'Alger), que Tahir était entré en trombe dans la cour de la société. Le but de cette bruyante visite inattendue par la victime, la minable somme de trente-trois millions de centimes. Alors, ici, nous devinons ce qui aurait pu se passer. Mais suivons plutôt les déclarations de la victime qui seront confirmées par les deux témoins entendus à titre indicatif. «J'étais tranquillement installé lorsque Tahir est venu me menacer de mort avant de lancer de la peinture sur ma voiture», a marmonné la victime qui sera vite désarçonnée au début de l'intervention de Maître Hadj Laïdat, le défenseur du détenu, lorsqu'il priera la juge d'ébriquer les deux témoignages des employés de la victime laquelle avait souligné surtout les jets de pierres sur le véhicule avec l'intention de causer le maximum de dégâts. D'ailleurs, l'avocat barbu a presque souri, voire ri jaune lorsque Akila Bouacha, la représentante du ministère public avait requis la très lourde peine de deux ans de prison ferme (une année pour chaque délit ? en quelque sorte). Le climat de cette minable salle d'audience malgré sa récente rénovation n'incite pas au boulot, mais la justice est comme l'atmosphère. Elle devient de temps à autre irrespirable et c'est tout dire comme appréciation. Voulant à tout prix pousser le tribunal à aller au-devant d'une peine légère, voire une simple amende, l'avocat va s'attarder sur les circonstances. Il dira à ce propos «Madame la présidente, je n'ai pas voulu demander le pourquoi de ces deux délits. Mon client est malheureusement un universitaire, qui va peut-être être un... magistrat (Makhloufi-Derbouchi reste de marbre), qui vous a déclaré qu'il y avait entre eux une somme d'argent. Son éducation ne lui permet ni de lancer des pierres, ni encore moins de menacer quelqu'un. Quant à la peinture lancée contre le véhicule qui ne lui appartient pas, la vraie victime n'a pas poursuivi mon client», a murmuré le défenseur qui n'a pas hésité à demander la relaxe car il n'y a aucun témoin sur ce qui s'est réellement passé ce jour-là, estimant que l'inculpé en purgeant quelques nuits en prison en attendant sa comparution devant le tribunal en flagrant délit, la peine est déjà éprouvante pour lui et pour sa famille. Auparavant, avant même les demandes de Bouacha, la victime avait réclamé des dommages et intérêts refusant par là toute réconciliation car elle a estimé avoir été humiliée à voir son auto dégradée par le jet de peinture. Saloua Derbouchi, la juge, annonce le verdict en fin d'audience. En revenant au box, le détenu entend sa nièce lui siffler : «N'aie pas peur, tonton». Cela a suffi aux deux sévères policiers qui le raccompagnaient à l'expulser de la salle d'audience. Ce qu'elle fit sans attendre pour se lancer aux trousses de maître Hadj Laïdat, le membre du conseil de l'ordre, pour avoir de plus amples précisions sur ce que pourra être le verdict. Ce verdict qui était allé en droite ligne d'une peine de prison assortie du sursis, juste pour voir le tonton regagner tard le soir le domicile, jurant que l'on ne l'y prendrait plus à menacer quiconque, ni à s'énerver pour un oui ou pour un non, voire à ne plus détruire quoi que ce soit car maintenant le frais libéré par la grâce du sursis, sait ce que perdre le sang-froid signifie. Et la nièce était là près du box pour souffrir le martyre du tonton.