En achevant ce procès, Derbouchi avait envie de rejoindre la section «statut personnel» pour le pénal, où elle venait d'entendre un détenu au casier judiciaire chargé, si chargé que la magistrate n'avait pas pu trouver le bon bout. Mais bon, puisqu'il y a des récidivistes à manier, la juge a dû penser que le pauvre bougre avait cette fois-ci franchi la ligne rouge : il est entré ivre mort dans une mosquée. Sacrilège ! Il est présenté devant Saloua Makhloufi Derbouchi, la juge, qui le reconnaît. «Vous m'agacez. Vous ne pouvez donc pas vous redressez ? Une fois, c'est la drogue. Une autre, c'est le vol, et ce samedi, c'est l'état d'ivresse manifeste qui vous accompagne», articule, le regard fixe, la présidente. «C'est la première fois que je...» Le détenu est vite interrompu. «Quoi ? La première fois ? De quoi ? De votre comparution ? Impossible ! Votre casier vient d'entamer le tome III de votre inculpation. C'est insupportable pour vos proches, vos amis. A propos, vous en avez ?», s'amuse presque la magistrate. «En taule, oui», répond le détenu. L'inculpé serre les mâchoires et arrive à balbutier. Il va prononcer une centaine de mots. Nous n'en retenons que ceux-là : «Je suis capable de vous signer un engagement sur l'honneur...» «C'est ce que vous m'aviez dit la dernière fois. Et pourtant, vous êtes revenu.» «Je n'ai pas où aller. Je n'ai ni toit, ni boulot, ni argent...» «Arrêtez, arrêtez de raconter des bobards. Vous aviez été pris en état d'ébriété», intervient la présidente. «On m'a payé un pot.» «Ah parce que par-dessus le marché, on vous invite ?», souligne Makhloufi Derbouchi qui savait que cette fois Mabrouk L., 42 ans, a bel et bien trempé dans les deux graves délits. «Voilà, on vous offre un pot. Vous avalez plusieurs verres, et au lieu de vous terrer, le temps que l'étourdissement passe, vous ne trouvez pas mieux que d'entrer dans une mosquée. Le comble de l'état d'ivresse !» C'est un moment fort dans la salle d'audience du tribunal de Bir Mourad Raïs, juridiction qui relève de la cour d'Alger du Ruisseau. Le procureur n'avait pas eu à se faire des cheveux blancs en réclamant le maximum de la peine prévue par le code pénal. Il ne restait plus à la présidente qu'à obéir à la loi face à ce chevronné des «Quatre ha», où il devait avoir des «copains» qui l'attendaient pour un bon bout de temps, enfin jusqu'à la prochaine grâce, une providentielle grâce. Deux ans de prison ferme est la peine infligée à Mabrouk L., qui s'est tout de même amusé à se présenter à la barre sans avocat, malgré le rappel de Derbouchi. D'ailleurs, elle a même poussé la coquetterie à ne prononcer le verdict qu'à l'issue de l'audience, vers 16h !