Au moment où les lumières du 2e Festival culturel panafricain d'Alger s'éteignent, le retour sur le volet cinéma, par-delà ses qualités, et le tour de force de réunir autant de films et de réalisateurs laisse apparaître certaines lacunes, l'oubli du géant Nigérian en est une ! Parlant du cinéma nigérian, Eddie Mbalo, dirigeant du cinéma de l'autre géant africain, l'Afrique du Sud ,déclare : «Beaucoup de gens vous parlent de l'industrie vidéo au Nigeria. Nous ne pouvons pas faire la même chose, mais force est de constater une chose positive dans cette industrie vidéo : elle crée un public, développe un marché. Nous, nous essayons de faire des films de manière professionnelle, mais nous n'avons pas de public. Au Nigeria, on produit des films cheap mais on construit simultanément une audience. Si le Nigeria se met dans les prochaines années à faire de vrais films, cette industrie sera vraiment profitable.» Il existe une production audiovisuelle africaine qui ne dépend d'aucune aide étrangère et qui est actuellement en train d'exploser, il s'agit de la production de films vidéo au Nigeria. Elle repose sur une industrie cinématographique viable, fortement enracinée dans la culture populaire. C'est le grand absent du 2e Festival culturel panafricain d'Alger. Absente du colloque comme des écrans d'Alger, l'expérience nigériane mérite pourtant d'être visitée.Presque inexistant jusqu'aux années 1970 (l'indépendance du pays), le cinéma nigérian a vécu à ses débuts à l'ombre du grand cinéaste Ola Balogun, formé à l'IDHEC (Paris). Cet écrivain nigérian, maîtrisant trois langues (yorouba, anglais, français), a collaboré avec le grand dramaturge et prix Nobel de littérature, Wole Soyinka. A sa sortie de l'IDHEC en 1968, il a occupé le poste d'attaché de presse à l'ambassade du Nigeria à Paris jusqu'en 1971. De retour au pays en 1972, il réalise plusieurs courts métrages avant de se lancer dans le long métrage (1972). Avec une grande honnêteté et une clairvoyance étonnante, il poursuit en parallèle réalisation et réflexion sur ce que pourrait être un cinéma populaire, à l'exemple du cinéma égyptien ou du cinéma indien, et plus récemment chinois. «Notre génération est constituée d'une élite, exposée à énormément d'influences, c'est une bonne chose car cela ouvre des horizons nouveaux, dira-t-il, mais en même temps cela peut être un piège mortel.»Ola Balogun symbolise à lui seul le paradoxe de l'industrie audiovisuelle nigériane au moment où celle-ci s'est presque entièrement tournée vers la vidéo. Il est probablement l'un des cinéastes africains les plus prolifiques. Il a toujours défendu le fait que la médiocrité de la vidéo n'est pas une fatalité. Les débuts Au cours des années 1970, il est devenu évident que le vrai problème du cinéma nigérian était le financement, aggravé par une instabilité gouvernementale chronique.Pourtant, au début des années 1970, peu de temps après l'indépendance, des changements sont apparus. La production de longs métrages a démarré et certains films ont été réalisés par des Nigérians. Aussi, en 1970, Francis Oladele a produit Kongi's Harvest, coréalisé par Wole Soyinka et Ossie Davis d'après une pièce écrite par le prix Nobel. Malgré les critiques et les réserves qu'il a soulevées, ce film marque ce qu'on pourrait considérer comme le début du «cinéma nigérian». Francis Oladele et Ola Balogun restent parmi les cinéastes nigérians qui ont le plus marqué les nouveaux venus.Balogun, formé à l'école européenne, est très conscient de l'importance du film dans les pratiques culturelles d'un pays. La situation sociale et politique dans son pays (ainsi que celle du continent en général) était bien trop désastreuse pour qu'il puisse exercer correctement son métier. Il n'a pas manqué d'attirer l'attention des autorités du Nigeria sur le rôle du cinéma en matière culturelle et politique. Sa conviction est que «la clé du progrès politique et matériel réside dans un usage correct des besoins culturels et artistiques pour la propagation d'idées et de valeurs convenables».Depuis le tournage de Alpha (1972), il a réalisé, entre 1975 et 1982, plusieurs longs métrages, dont Black Goddess (1978) et Cry Freedom (1981). Malgré le succès international de Black Goddess, ce film a été l'objet de vives critiques. Néanmoins, il demeure à ce jour la contribution de Balogun la plus significative au panafricanisme. Ses films s'opposent explicitement aux films coloniaux d'Europe ou de Hollywood. Il a également défriché les voies et les pratiques audiovisuelles que le Nigeria allait emprunter dans les années 1990. Le film Ethnique yorouba qu'Ola Balogun a contribué à formuler est venu de la pratique directe du théâtre populaire yorouba de la fin des années 1970. On ne peut manquer de rappeler la similitude avec l'expérience de Kateb Yacine et la pratique d'un théâtre populaire en arabe parlé ou même en tamazight. L'esprit pionnier d'Ola Balogun, qui cherche à rompre l'isolement d'un cinéma coupé des masses, a mis en évidence les potentialités du film Ethnique yorouba. Sujets sociaux et politiques En collaboration avec Duro Lapido, artiste célèbre de Yorouba Travelling Theater, ils allaient réaliser Ajani Ogun, le film eut un succès immédiat. Il s'agissait de l'équivalent filmique d'une pièce de théâtre yorouba, ce qui n'avait jamais été réalisé auparavant. Réalisé en 1976, ce film est arrivé à une époque où le soutien au théâtre commençait à décliner à cause du développement de la télévision mais aussi de l'insécurité des grandes villes qui commençait à prendre des proportions inquiétantes. Le succès d'Ajani Ogun ne tient pas seulement à ses qualités. Il a été réalisé alors que le fossé entre les riches et les pauvres commençait à s'élargir au-delà du raisonnable au Nigeria et les militaires qui étaient au pouvoir ne faisaient rien pour contenir cette tendance. Si Ajani Ogun traite de graves problèmes sociaux, Ija Ominira évoque le passé yorouba. C'est l'histoire d'une rébellion contre un roi tyranique. La révolte d'un jeune homme impétueux, blessé par la confiscation de la terre de son père, donne une dimension collective à ce récit. Néanmoins, ce film, dont l'argument est emprunté au Yorouba Travelling Theater, ne suggère pas pour autant que la monarchie devrait être abolie mais plutôt qu'un nouveau dirigeant devrait être installé à la place de l'actuel. Confirmant l'assertion de Karin Barber, selon laquelle même les couches populaires peuvent être conservatrices dans le traitement de l'histoire sociale. Initialement tourné en 16 mm, le film a été transféré en vidéo parce que la plupart des cinéastes nigérians faisaient désormais leurs films dans ce format et que l'utilisation du celluloïd (16 ou 35 mm) revenait cher.De cette manière, Ija Ominira est impliqué dans le passage du cinéma sur pellicule au format vidéo au Nigeria. Lors d'une conférence aux USA en 1997, Ola Balogun a déclaré : «Il n'y a pas d'industrie du cinéma au Nigeria !», concluant d'une manière paradoxale : «Tant qu'il n'y aura pas de production stable et un système de financement dans cette industrie, rien ne pourra se faire ! Mais un fait reste indiscutable : quand l'industrie cinématographique nigériane se réveillera, elle disposera d'une base pour asseoir ses développements futurs !» Et la contribution de Balogun a constitué une part essentielle de ces fondations.Au début des années 1990, le film vidéo est venu prendre le relais d'un cinéma nigérian sur pellicule donné pour mort et constituer un marché audiovisuel autonome.L'élément remarquable de ces films n'est pas leur qualité esthétique — souvent très mauvaise même si l'on peut constater une amélioration mais le fait qu'ils soient issus d'intérêts strictement commerciaux. L'arrivée de la vidéo Il est courant d'opposer les politiques culturelles coloniales et post-coloniales de la France en Afrique à celles conduites par la Grande -Bretagne qui préférait abandonner l'initiative du mécénat culturel aux forces commerciales. Cette différence apparaît au grand jour lorsqu'on considère la production cinématographique nigériane qui s'est presque entièrement développée en dehors de toute structure économique et culturelle qu'ont formée la plupart des autres cinématographes africains. Grosso modo, une centaine de longs métrages sur celluloïd a été réalisée au Nigeria en 1970 et le début des années 1990, période au cours de laquelle ce type de production a cessé en raison d'une distribution défaillante, de salles de cinéma de plus en plus délabrées et surtout de l'effondrement monétaire suite au réajustement économique : la dévaluation précipitée de la monnaie nationale a rendu impossible l'importation de pellicule et d'équipement, ainsi que le travail de post-production qui ne peut être réalisé qu'à l'étranger. Au milieu des années 1990, des centaines de films vidéo ont été réalisées au rythme d'environ un par jour. Entre décembre 1994 et juillet 1999, 1300 films vidéo ont été présentés à la commission nationale de censure, en yorouba mais également en igbo et en anglais. Une explosion comparable de la vidéo s'est produite au Ghana au même moment, même si cette production correspond au 10e de celle du Nigeria. Le boom de la vidéo constitue une véritable révolution dans la production audiovisuelle africaine car nulle part ailleurs un marché local ne s'est établi avec autant de succès.Les films vidéo sont réalisés avec peu d'argent, leur budget moyen se situe légèrement au-dessus de 10 000 dollars. Mais au niveau le plus bas, ils sont tournés avec des caméscopes VHS, comme pour les mariages chez nous ! Bien qu'extrêmement populaire, il n'est généralement pas possible de les exporter pour des raisons culturelles et artistiques mais également techniques. Echappant aux influences internationales de par leur financement et leur mode de production, on pourrait les considérer comme des exemples d'une expression authentiquement africaine. Et par contraste, considérer certains films africains bénéficiant d'une production internationale davantage destinés à une consommation européenne. Ce serait grossir le trait d'un côté comme de l'autre. Comme l'affirmait le patron du cinéma sud-africain, Eddie Mbalo, force est de constater une chose positive dans cette industrie vidéo : elle crée un public, développe un marché. Au Nigeria, on produit des films cheap, mais on construit simultanément une audience. Si le Nigeria se met, dans les prochaines années, à faire de vrais films, cette industrie sera vraiment profitable. C'est également notre conviction.