Il ne faut pas se faire d'illusion : la baisse du taux d'intérêt sur les crédits immobiliers n'est pas pour influer sur le coût du logement, en particulier dans les grands centres urbains. L'offre se raréfie et les prix augmentent en parallèle jusqu'à atteindre des seuils inimaginables. «A moins de 10 millions de dinars, il vous est impossible d'acquérir un bon F3 dans le grand Chéraga et ses environs», dit, sentencieux, le propriétaire d'une agence immobilière installée près du centre commercial El Qods. Présent dans le créneau depuis plusieurs années, l'homme nous explique que la flambée de l'immobilier à Alger et dans les wilayas limitrophes a fait que des logements qui plafonnaient, il y a 5 ans, à 3 millions de dinars, ont subitement grimpé pour atteindre le milliard de centimes, voire un peu plus dans les cités réputées calmes. C'est le même topo à Ouled Fayet où des F4 construits par Sorepim ont dépassé les 2 milliards de centimes. Les minuscules logements promotionnels de l'OPGI - le F2 fait à peine 34 m⊃2; et le F3 moins de 70 m⊃2; - sont cédés à des prix inimaginables. Les agences immobilières, nombreuses à s'être installées dans cette bourgade du Sahel, reconnaissent que la flambée de l'immobilier arrange leurs affaires puisque plus le prix augmente, plus la commission est conséquente. De plus, précisent quelques gérants, les affaires se traitent au comptant. Rares sont les acquéreurs qui recourent au crédit bancaire ; la procédure est lente et les vendeurs, pressés, cèdent le bien à celui qui paie le plus vite. M. Alismaïl, promoteur immobilier, avoue être réticent quant à lancer des programmes à Alger et ses environs. Sa hantise, le prix du terrain qui a littéralement explosé. «Si on inclut le coût du terrain, les taxes, les impôts et les autres charges, le prix du mètre carré bâti dépassera facilement les 150 000 DA, et ça, lorsqu'on utilise des matériaux quelconques», explique-t-il. «Après ajout de la marge bénéficiaire, on imagine aisément le coût final du produit», ajoute-t-il. Cela n'empêche en rien la spéculation de prospérer. Un promoteur immobilier activant à Alger a reçu plus de 700 demandes pour les 100 logements qu'il a lancés, cela avant qu'il ne fasse la moindre publicité. C'est dire l'ampleur de la demande pour un produit qui se raréfie d'année en année, dans l'Algérois en particulier. A Tixeraïne, un quartier pourtant assez mal coté, des terrains nus bordant la route se sont vendus à 150 000 DA le m⊃2;, d'autres à près de 300 000 DA. Une parcelle faisant à peine 220 m⊃2; où a été érigée une dalle, a été cédée à 45 millions DA ! Et l'on passe sur ces lots «commerciaux» dans certains quartiers du grand Alger qui atteignent des prix faramineux. «Les terrains à bâtir ont été dilapidés par les APC qui se sont succédé depuis les années 1990. Les réserves foncières se sont rétrécies au fil des ans, créant une pénurie non seulement en matière de terrains à bâtir mais aussi de terrains pour implanter les équipements sociaux», assure S. D., cadre à la wilaya d'Alger. Le fonctionnaire explique que des villes comme Staouéli, Ouled Fayet et Chéraga ont dû puiser des terres agricoles pour lancer quelques équipements d'intérêt public. Spéculation tous azimuts L'orientation du crédit de consommation vers l'immobilier exclusivement est une initiative louable à plus d'un titre. Mais un écueil de taille se dresse en travers : le prix de cession.Pour des responsables du patronat algérien, «de quelque côté qu'on la retourne, la question du logement promotionnel nous renvoie à son coût exorbitant». Pour Salah M., gérant d'une entreprise privée spécialisée dans le bâtiment en tous corps d'état, «le paradoxe est que des logements se vendent à 1 milliard de centimes et de l'autre il y a une tension sur ce produit». Certes, dit-il, il existe des gens qui peuvent se permettre ce luxe, «mais combien sont-ils ?» En pourcentage, un nombre infime qui s'explique d'ailleurs par la très faible offre sur le marché. Hassani M., banquier, assure que sa banque facilite au maximum les procédures d'octroi de crédits. Cependant, les prix de cession, que ce soit du côté des EPLF, de l'OPGI et des privés, ne permettent pas aux requérants d'obtenir le financement qu'ils souhaitent. Explication : «En principe, la banque accorde des crédits allant jusqu'à 80-90%, tout dépend des capacités financières du demandeur. Pour quelqu'un qui gagne 60 000 DA par mois, on peut accorder jusqu'à 4 millions de DA, mais à lui de se débrouiller le reste.» Autrement dit, son apport personnel sera de 6 millions DA, si l'on se réfère aux prix pratiqués actuellement par les promoteurs qui proposent des logements collectifs à 9, 10 et 11 millions DA ! Il en est de même pour les achats de particulier à particulier. De vieux logements sont cédés tout aussi cher, surtout lorsqu'ils se situent dans des quartiers huppés de la capitale. «La vérité est que l'Etat s'est fourvoyé dans de nombreuses formules d'accession au logement qui ont toutes prouvé leur inefficacité», estime M. Ouaddah, expert financier, qui considère que ces formules ont été imposées par des conjonctures particulières. «Aujourd'hui, les temps ont changé, et c'est à l'Etat d'imaginer les meilleurs moyens pour que le plus grand nombre accède à la propriété du logement.» Par exemple ? «Reprendre la formule location-vente qui aurait dû se poursuivre en y ajoutant quelques correctifs.» Pour M. Kahoul, président du CSPA, une organisation patronale, «le principe de la baisse du taux d'intérêt est bon puisqu'il permet une possibilité aux fonctionnaires d'accéder à leur logement. Mais, à y regarder de près, je ne pense que cela résoudra le problème de la crise qui s'est amplifiée depuis 1996. La demande reste très forte et l'offre de moins en moins importante, et ce, malgré le lancement des grands programmes tels l'AADL, le million de logements, les formules LSP, le logement aidé, etc.». Pour M. Kahoul, le crédit immobilier ne peut intéresser les fonctionnaires dans le besoin que si l'Etat consent à construire des logements promotionnels à des coûts qui arrangent à la fois le promoteur, l'entreprise de réalisation et l'acquéreur. En attendant, la spéculation a de beaux jours devant elle. Aux dernières nouvelles, un logement menaçant ruine à Alger-Centre a été cédé à 20 millions DA.