Il est inquiétant de savoir que les déchets domestiques, industriels et agricoles stimulent la prolifération de bactéries (cyanobactéries ou algues bleu-vert). Les cyanobactéries font partie des plus grandes populations de bactéries de la planète, et des plus anciennes : on en a trouvé sous forme de fossiles datant de plus de 3,5 milliards d'années ! Certaines vivent dans l'eau douce, d'autres dans l'eau de mer. Toutes les espèces ne sont pas toxiques. La cyanobactérie d'eau douce Spiruline, par exemple, véritable mine de protéines, a été cultivée par les Aztèques de l'ancien Mexique et l'est toujours par les Africains autour du lac Tchad. Elle est aujourd'hui consommée dans le monde entier, et entre autres comme «médic-aliment». De nombreuses autres espèces sont cependant toxiques pour l'homme et les animaux. La déforestation, l'agriculture et d'autres changements apportés à l'occupation des sols favorisent peut-être la prolifération actuelle des cyanobactéries nuisibles de l'eau douce. Le lessivage des phosphates agricoles peut stimuler leur épanouissement ; les efflorescences forment une écume bleuvert à la surface des mares, des lacs et des réservoirs, potentiellement mortelle pour les animaux domestiques et sauvages, et même pour les humains. On a signalé des cas d'intoxication de l'homme en Afrique du Sud, en Amérique latine, en Amérique du Nord, en Australie, au Bangladesh, en Chine, dans 12 pays européens, en Inde, en Israël, au Japon, en Thaïlande et dans l'ancienne Union soviétique. À la différence des efflorescences d'algues marines, le danger le plus courant pour la santé publique dans l'eau douce ne provient pas d'une éventuelle accumulation de toxines d'algues dans le système digestif des fruits de mer, mais bien de la consommation d'eau directement contaminée par des tératogènes (qui provoquent des malformations chez les embryons) et par des toxines de cyanobactéries qui, à la longue, peuvent favoriser l'apparition de tumeurs. Plusieurs pays d'Europe du Nord, ainsi que Hong Kong et le Japon, sont désormais convenus de réduire de 50% en quelques années le ruissellement des phosphates et des nitrates. C'est un pas dans la bonne direction mais il est à craindre que leurs efforts ne soient vains si leurs voisins continuent à polluer. Savoir si le climat est en cause Il existe une algue nuisible appelée Pyrodinium bahamense dont l'aire se limite actuellement aux eaux côtières tropicales bordées de mangroves de l'Atlantique et de la région qui va de l'océan Indien au Pacifique occidental. Selon une étude de fossiles remontant à 50 millions d'années jusqu'à l'Éocène tempéré, leur aire paraît avoir été bien plus étendue en ces temps-là. Actuellement dans la région australasienne, par exemple, cette algue n'est pas présente au sud de la Papouasie Nouvelle-Guinée, alors qu'il y a 100 000 ans, on la trouvait jusqu'au port de Sydney. On a toutes les raisons de craindre que l'intensification de l'effet de serre et le réchauffement de l'océan ne favorisent le retour de cette espèce dans les eaux australiennes. En Atlantique tropical, dans la région de Bahia Fosforescente de Porto Rico, par exemple, ou d'Oyster Bay en Jamaïque, le spectacle d'efflorescences scintillantes brun rouge de Pyrodinium a beaucoup de succès auprès des touristes. D'abord jugées inoffensives, les efflorescences de Pyrodinium ont acquis une plus sinistre réputation en 1972 en Papouasie Nouvelle-Guinée, lorsque la décoloration de l'eau en brun rouge a coïncidé avec l'intoxication alimentaire mortelle de trois enfants dans un village du littoral, diagnostiquée comme PSP. Depuis, il semble que ces efflorescences toxiques aient atteint Brunei et Sabah (1976), les îles centrales des Philippines (1983), puis celles du nord (1987) et l'Indonésie (Molluques du Nord). Il existe des preuves bien établies de coïncidence entre les efflorescences de Pyrodinium et les conditions climatiques inhabituelles qui ont accompagné l'épisode d'El Niño-Oscillation australe1 de 1991-1994.
Pyrodinium Le Pyrodinium pose donc un grave problème pour la santé publique et l'économie de ces pays tropicaux, qui sont tous tributaires pour les protéines des produits de la mer. Rien qu'aux Philippines, le Pyrodinium est déjà responsable de plus de 2000 cas de maladies chez l'homme et de la mort de 100 personnes par consommation de crustacés, sardines, anchois etc... contaminés. Alors que rien ne le laissait prévoir, au cours d'une efflorescence de Pyrodinium en 1987 sur la côte Pacifique du Guatemala, 187 personnes durent être hospitalisées et 26 en moururent. En 1989, une autre efflorescence s'est déplacée vers le nord de la côte Pacifique de l'Amérique centrale en provoquant, là aussi, la maladie et la mort. Récemment encore, l'intoxication neurotoxique par les crustacés et les mollusques (NSP) était considérée comme endémique dans le golfe du Mexique et sur la côte est de la Floride, où les «marées rouges» étaient connues depuis 1844. La NSP a la rare particularité d'émettre des ondes d'aérosols toxiques pouvant provoquer chez les humains des symptômes respiratoires semblables à ceux de l'asthme. En 1987, une importante efflorescence en Floride a été dispersée vers le nord par le Gulf Stream, jusque dans les eaux de la Caroline du Nord, d'où elle n'est jamais repartie. Contre toute attente, au début de 1993, plus de 180 cas d'intoxication humaine par des fruits de mer ont été signalés en Nouvelle Zélande. Il est très probable que cette éruption a été déclenchée par les conditions climatiques exceptionnelles de l'époque, une pluviosité supérieure à la normale et une température inférieure, coïncidant avec le phénomène El Niño. La ciguatera est un syndrome d'intoxication par des poissons tropicaux, très courant dans les zones de récifs coralliens des Caraïbes, d'Australie et surtout de Polynésie française. Alors que c'est, à proprement parler, un phénomène purement naturel (le Capitaine James Cook, l'explorateur anglais, en fut affecté lors de sa visite de la Nouvelle-Calédonie en 1774) après avoir été une maladie rare il y a deux siècles, la ciguatera a pris aujourd'hui les proportions d'une épidémie en Polynésie française. Entre 1960 et 1984, plus de 24 000 cas ont été signalés dans la région, soit six fois plus que la moyenne pour l'ensemble du Pacifique. Il est désormais prouvé que la perturbation des récifs par les ouragans, les opérations militaires et touristiques, ainsi que le blanchissement du corail (dû au réchauffement planétaire) accroissent les risques de ciguatera.