Aïn El Turk, Cap Falcon, Corales, Bouisseville, l'Etoile, Bousfer et les Andalouses. Des petits bouts de paradis qui ont résisté à la félonie du temps et à la main de l'homme qui a bêché, creusé, remué et agressé sans s'assouvir. Des plages au sable fin qui composent un chapelet scintillant qu'on ne se lasse jamais d'égrener au gré de ses haltes, de ses humeurs et de ses plongeons dans l'eau cristalline, qui efface d'un ruissellement diaphane, sur une peau halée par le soleil, la fatigue d'une année de labeur. Quand on décide de partir à la découverte de ces lieux, on se laisse guider par son instinct. On prend son attirail de plage et on part à la conquête de la félicité. La ville de Aïn El Turk (Laâyoune dans le jargon des connaisseurs) s'ouvre par le rond point des dauphins avant de laisser son visiteur découvrir le complexe et la discothèque El Manara qui annoncent une succession de maisons au style quelconque. L'air chargé d'embruns donne déjà le ton : la plage n'est qu'à un jet de pierre. Il suffit de franchir les derniers mètres qui nous séparent du rond-point de l'hôtel Shems avant de bifurquer à droite pour aller à la grande bleue. L'accès à la plage, un véritable casse-tête pour les automobilistes, est rongé de nids de poule. Mais l'appel de la mer et de ses plaisirs efface les dernières hésitations. On fonce sans réfléchir. Le véhicule est immobilisé, on descend les bagages, on parlemente avec les plagistes mais on fini par céder. On aboule le tarif fixé pour la location des chaises, d'une table de plastique et d'un parasol, et on enfonce ses pieds dans la douceur du sable qui s'effrite au gré de notre recherche d'un coin pour nous installer. Sur le sable, des familles, beaucoup de familles s'entassent sous l'ombre furtive des parasols. Les lieux sont investis par une foule d'habitants du coin et des vacanciers qui se sont «curés» pour louer dans un des nombreux complexes hôteliers de la région et des particuliers qui trouvent en la saison estivale un moyen qui leur permet d'arrondir les entrées d'argent de la famille. Un habitant de cette localité nous expliquera que certaines familles arrivent à gagner une belle somme d'argent qui leur permet d'équilibrer leur budget pour toute l'année. «Ici, tous les espaces sont loués. Il arrive que des propriétaires louent à chaque famille une pièce de la maison. Même la buanderie et la cuisine sont proposées à la location. C'est pourquoi de temps à autres éclatent des disputes en raison de cette promiscuité forcée», dira-t-il.Sur la plage, des petits vendeurs de beignets et de crème glacée se disputent les espaces sous le regard amusé d'un adulte qui intervient quand les coups de poings et de pieds remplacent les quolibets. «C'est tout le temps comme ça. Ils se disputent la maigre clientèle qui fréquente encore cette plage qui a perdu son charme depuis qu'elle est polluée.» Nous plantons le parasol, et on se met en tenue pour aller oser quelques brasses. Des jeunes, les pectoraux saillants, font d'incessants va-et-vient sur la bande de sable qui effleure l'eau. «C'est leur parade nuptiale. Ils jouent au coq de la basse-cour, c'est un véritable travail de séduction auquel ils se livrent», dira Mohamed, notre compagnon, qui précisera que les salles oranaises de musculation affichent complet durant le printemps, «tous les jeunes y vont pour faire de la gonflette. Certains usent même de maga-masse, un dopant aux effets secondaires inconnus et qui est vendu librement en pharmacie».Le pavillon qui flottait à un mat dans un coin retiré de la plage nous encourage à aller piquer une tête. Passées les quelques secondes dues à notre plongeon dans l'eau fraîche de la mer, on s'essaye à la brasse, à la planche, au crawl. C'est un véritable plaisir que de s'enfoncer dans l'eau, entouré d'une foule de baigneurs insouciants au temps qui passe, aux sifflets des surveillants de baignade qui rappellent des baigneurs un peu trop téméraires. L'été, l'insouciance Les cris joyeux des baigneurs sont soudain interrompus par le vrombissement d'un jet-ski qui file sur la surface de l'eau. Insouciant, son conducteur ne prête pas attention aux ballons qui annoncent la limite de la zone autorisée. Il se laisse glisser jusqu'au bord de la plage, descend de son bolide et court s'acheter un esquimau, qu'il s'empresse de martyriser à coups de langue et de canines . Pourtant celui-là est bien sage, il n'a pas fait le numéro du chevalier courant dans tous les sens pour aller sauver sa dulcinée. Il s'est acheté une glace, et il repartit loin de la zone réservée à la baignade. Dans un coin de la plage, un dromadaire est devenu l'attraction des enfants. Certains accompagnés de leurs parents l'enfourchent le temps d'une photo, proposée à 300 DA. L'homme qui l'accompagne est un habitué du coin, il y vient chaque été de la lointaine Ouargla. Il se déplace à dos de sa monture pour sillonner les plages d'Oran à la recherche d'une clientèle qui ne se privera pas d'une photo, qui rappellera, durant les longues nuits d'hiver, des moments agréables passés à Aïn El Turk. Quelques minutes plus tard, Mohamed nous propose une petite virée éclair à Cap Falcon. «Les autres peuvent rester, on va juste là-bas pour rencontrer un copain qui organise des tournois de beach-volley», fera-t-il remarquer. Nous prenons sa voiture, une Kia qu'il avoue n'avoir pas encore entièrement payée et nous prenons la route vers Cap Falcon. Sur le chemin, nous apercevons quelques villas qui ont squatté des terres jadis fertiles puis l'institut des sports avant de débarquer à l'entrée du complexe du Sun House, où nous apercevons deux filles légèrement vêtues en train de faire de l'autostop. Je les reconnais, ce sont deux entraîneuses qui «officient dans la discothèque du club». «Elles descendent en ville avant de revenir le soir pour esquisser les mêmes gestes de séduction à une clientèle masculine, pressée de cuver tous les plaisirs avant l'arrivée du Ramadhan», fera remarquer Mohamed. Quelques mètres plus loin, le paysage s'ouvre sur le complexe El Djawhara puis sur un chapelet de kiosques, de restaurants, de bars et même de bouibouis. Les rondes nocturnes de la gendarmerie ont «pacifié» les lieux qui étaient jadis réputés pour être un véritable coupe-gorge. «Il n'y a pas longtemps, des bandes de malfaiteurs, se tapissaient dans ces buissons pour guetter la sortie de clients éméchés de ces bars. Plusieurs ont été agressés et leurs objets de valeurs volés. Certains ont même perdu la vie», avouera Mohamed qui s'était fait avoir une fois quand il avait suivi une entraîneuse qui l'avait attiré dans un guet-apens à l'entrée de la plage de Cap Falcon. «Depuis, je ne m'aventure plus saoul ou seul dans cet endroit.» La plage s'est réduite à sa plus simple expression. Il y a quelques années, elle faisait jonction avec les Dunes, mais aujourd'hui les constructions érigées, parfois même à la dérobade durant les années quatre-vingt-dix, ont rogné l'espace. On descend de voiture, et on part à la recherche de son ami l'organisateur de tournois sportifs. Très connu dans le coin, Mohamed serre des mains, fait des signes amicaux, embrasse quelques joues puis demande à voir son copain employé comme surveillant de baignade. On lui fait savoir qu'il pourra aller le retrouver à Bomo Plage, à environ 5 km de Aïn El Turk. Après un dernier salut, on reprend la route. Bomo, Corales, l'Etoile,des invites au farniente L'asphalte de la route se fait fuyant sous les roues de la voiture. Il fait chaud, et nous commençons déjà à regretter de l'avoir accompagné. «J'aurais dû rester avec les autres à la plage. Il fait chaud et pour accéder à la plage, il faudra payer la place du parking et négocier un droit de passage avec les concessionnaires», fera remarquer Samir dont le front était perlé de sueur. Au cours de notre court voyage vers Bomo Plage, on découvre au détour d'un virage qui sépare la mer de la bande des dunes envahies de ronces et de roseaux, la plage de Corales. C'est une belle plage fréquentée en général par des familles oranaises attirées par son accès facile et la proximité de son parking de voitures. C'est un lieu qui affiche toujours complet. Des familles accompagnées d'enfants préfèrent venir à Corales qui est également très prisée par les responsables des colonies de vacances. En dépassant l'accès à cette plage, notre regard est attiré par une ribambelle d'enfants des quartiers défavorisés d'Oran, invités par la DJS, dans le cadre du plan bleu, à passer une journée à la plage. La troupe de qarqabou qui les accompagnait faisait un boucan d'enfer. La voiture s'arrête et nous décidons de laisser Mohamed seul partir à la recherche de son ami. Nous l'attendrons, à l'ombre d'un eucalyptus, une bonne demi-heure, avant qu'il ne revienne pour nous annoncer qu'il l'attend à la plage de l'Etoile. Nous reprenons notre route, et nous embarquons pour deux kilomètres. Cette fois, nous décidons de l'accompagner pour lui ôter toute envie de retard. Il se dirige vers la tente de la Protection civile où il retrouve enfin son ami. Nous les laissons deviser et partons à la découverte des lieux. La Plage, protégée des vents d'est par un cap, offre un joli panorama. Un enchevêtrement de voûtes et de garages rappelle que les lieux sont fréquentés par des pêcheurs. «Et par des harraga. Plusieurs groupes ont pris la mer à partir de cette plage qui offre toutes les conditions pour se dissimuler, attendre la tombée de la nuit et embarquer vers l'inconnu. Depuis deux années, les rondes de la Gendarmerie nationale ont réduit considérablement les mouvements des émigrés clandestins qui venaient à la plage le soir, pour se fondre dans la masse des baigneurs, attendre leur départ, mettre une barque dans l'eau et tenter l'aventure. Certains ont réussi à gagner l'autre rive, mais plusieurs autres qui ont réussi à déjouer le dispositif des gendarmes ont servi de pâté aux requins», fera remarquer Samir. La plage était ornée d'une nuée de parasols. Chaque centimètre de sable était occupé. Les concessionnaires ont tout pris, même l'allée qui mène vers les douches publiques, installées cette année par la commune pour permettre aux baigneurs de se débarrasser du sable avant de monter dans leurs véhicules. Dans la voiture, Mohamed décide de nous amener faire un petit tour aux Andalouses pour aller voir des jeunes de son quartier qui ont loué un bungalow dans la complexe. «C'est à deux pas et puisque nous sommes-là, autant aller les voir avant de revenir à Aïn El Turk récupérer les autres et rentrer avant 17 heures à Oran pour ne pas nous retrouver coincés dans la circulation», dira-t-il.Sur la route, nous dépassons la grande plage avant de déboucher sur Bousfer pour entamer les deux derniers kilomètres qui nous séparent du complexe des Andalouses. La circulation automobile marque un ralentissement. Une musique parvient d'une tente installée sur le sable de Bousfer-Plage. Un chanteur de raï s'égosillait à pleins décibels. Les plagistes ont cru bon faire en installant des équipements sono pour l'animation sur les plages. Mais ces appareils, installés par des apprentis bricoleurs, se sont avérés une véritable source de menace pour les baigneurs. Il y a quelques jours, un employé dans une concession aux Andalouses a été électrocuté en voulant faire fonctionner une baffle. C'était un jeune étudiant d'El Barki, qui travaillait comme vacancier. «Bousfer plage a perdu de sa splendeur. Le cadre est certes enchanteur, mais il lui manque un petit quelque chose qui faisait son originalité», dira Samir avant de se faire «ramasser» par une réplique cinglante de Mohamed. «Moi, je la préfère comme ça. Depuis que les revendeurs d'alcool ont fermé boutique, elle est plus calme et plus accueillante. Avant, personne ne pouvait s'y aventurer au-delà de 19h, mais aujourd'hui, tu peux aller en famille le soir déguster une paella chez Marco où chez Hadj Ali. C'est mille fois mieux comme-ça», dira-t-il. Nous dépassons la discothèque Murdjadjo qui avait fait la réputation de cheb Abdou avant qu'il n'aille monnayer son talent au Solazur, un espace où se rencontraient tous les gays d'Oran. Au détour d'un virage, notre voiture est arrêtée par un bouchon formé à l'entrée du complexe des Andalouses. «Vous voyez, c'est bloqué dans les deux sens. Nous allons souffrir à notre retour», annoncera Mohamed. Il était une fois les Andalouses Les voitures avancent pare-choc contre pare-choc. Nous dépassons le pont qui enjambe l'oued de Bousfer qui se déverse aux Andalouses et notre regard est très vite attiré par un alignement d'hôtels et de complexes qui ont cerné de partout l'ancien complexe qui a pris un air rabougri depuis. «Il y a quelques années, c'étaient des terres fertiles. Là-bas, il y avait une cave désaffectée, et de l'autre côté de la route, c'est une zone qui était censée être protégée, puisque elle renferme des ruines datant du passage des Berbères dans la région», fera remarquer doctement Samir. Arrivés au parking, nous laissons Mohamed partir à la recherche de ses amis et nous faisons un tour du côté des marches qui mènent vers la plage. Des voitures en mouvement ou garées portent des immatriculations de différents régions du pays. Les accents des baigneurs et des promeneurs laissent deviner leur région d'origine. Une multitude de kiosques aguichent les baigneurs qui y vont s'abreuver quand ils ont le gosier desséché ou s'empiffrer de sandwichs frite-omelette quand ils ont un creux à l'estomac. Nous marchons pour découvrir les lieux. Au loin à l'horizon, les îles Habibas laissent découvrir leur silhouette. Sur la plage, les corps allongés sont à la recherche des derniers rayons de soleil. Des familles commencent à se préparer pour le retour à Oran. Nous franchissons la barrière qui ferme l'entrée du complexe et la zone des bungalows. Le cabaret le Milord fermé à ce moment offre une mine grise. Plus loin, les terrasses du grill-room et du snack ne sont pas encore envahies de monde. «Il faut revenir le soir, et vous ne trouverez aucune place. Les crémeries, les cafés, les bars, les restaurants, afficheront tous complet.» Après une heure, Mohamed revient. Nous prenons la voiture pour aller retrouver nos amis à Aïn El Turk. Là-bas, ils tanceront vertement Mohamed, qui se fera tout penaud avant de leur promettre une sortie en soirée à Canastel. Nous rangeons notre matériel de plage, montons dans la Kia achetée à crédit et nous reprenons la route vers Oran. Au carrefour qui marque l'entrée de Aïn El Turk, un motard de la police nous fait signe d'emprunter la route qui passe par la corniche supérieure. «Le chemin est bloqué par un accident survenu à l'entrée de Mers El Kébir. Il vaut mieux passer par le Murdjadjo. Nous nous engageons dans le lacet du bitume qui s'engouffre à travers les buissons de ronces pour escalader le mont Murdjadjo et retrouver El Bahia Wahran.